La guerre israélo-palestinienne aux yeux des Iraniens edit
Les massacres perpétrés par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023 ont déclenché une vague d’empathie parmi les Iraniens. Les images poignantes des victimes ont largement circulé sur les réseaux sociaux, et le hashtag #IraninansStandWithIsrael est rapidement devenu viral sur Tweeter (X) et Instagram.
Cette solidarité des Iraniens à l’égard d’Israël n’est pas nouvelle. On comprend qu’une nation opprimée puisse éprouver des sentiments de sympathie et de solidarité pour les ennemis de ses oppresseurs. On dit souvent que l’ennemi de mon ennemi est mon ami.
Avant ces massacres, chaque fois que les mercenaires de la République islamique ont été les victimes des assassinats ciblés, en Syrie ou en Irak, chaque fois que les centrales nucléaires en Iran ont été sabotées, des Iraniens ont manifesté leur joie en remerciant Israël, perçu comme l’auteur de ces actions. Nombreux sont les Iraniens qui ne comprennent pas l’acharnement de la République islamique contre Israël.
Cependant, l’empathie ressentie pour les victimes du 7 octobre dépasse toutes les manifestations antérieures tant par sa profondeur que par son ampleur. Cette immense vague d’indignation est sans précédent : les Iraniens voient l’empreinte des dirigeants de leur pays dans ces massacres. Le plus flagrant à leurs yeux a été les similitudes entre les atrocités commises par le Hamas et celles des forces de l’ordre de leur régime à l’égard des jeunes Iraniens, en particulier après les révoltes suivant le meurtre de la jeune femme de 23 ans, Mahsa Amini, de septembre 2022 jusqu’au début de l’année 2023. Indépendamment des forces armées régulières du pays et du Corps des Gardiens de la Révolution (IRGC), la République islamique déploie un vaste réseau de groupes radicaux islamistes dans la région. Ces groupes entrent en action lors des manifestations populaires en Iran avec pour mission d’instiller la peur par le biais de crimes atroces perpétrés contre les contestataires.
Lors des dernières révoltes, aux côtés de plusieurs centaines de milliers de jeunes arrêtés, torturés, aux côtés de ceux qui ont été sommairement exécutés dans les prisons officielles des ayatollahs, les crimes crapuleux commis par des Bassijies (milices shi’ites) et d’autres agents officieux du régime islamique ont particulièrement marqué les esprits, contribuant à étouffer les contestations. Pendant plusieurs mois, des jeunes ont été retrouvés morts, vidés de leurs organes, abandonnés dans les rues. Des centaines de personnes ont témoigné d’avoir été les victimes de torture et de viol dans des lieux privés. La police n’a jamais enquêté sur ces plaintes, et ces crimes sont restés impunis. Le mystère règne encore sur les suicides de plusieurs dizaines de jeunes, peu de temps après leur libération de prison.
Ayant vécu dans la terreur depuis près de quarante-cinq ans, les Iraniens, en grande majorité âgés de moins de 40 ans, se sont identifiés aux souffrances des Israéliens, alors qu’ils sont restés de marbre face aux bombardements dévastateurs sur la bande de Gaza. Le 8 octobre, au lendemain des massacres en Israël, lors d’un match au stade Azadi de Téhéran, plus de 78 000 supporteurs iraniens ont chanté un chant injurieux dès que les organisateurs ont brandi le drapeau palestinien dans le stade. Les vidéos de l’événement ont tourné en boucle partout dans le monde et les dirigeants du régime sont restés stupéfaits.
Depuis cette date, l’écrasante majorité des internautes qui s’expriment en persan sur Twitter estiment que le Hamas est un groupe terroriste et que les Palestiniens ne devraient pas le soutenir. La réaction d’Israël est donc perçue comme une forme de légitime défense contre le terrorisme. Aux yeux des internautes iraniens, le Hamas est le seul responsable de la mort des Palestiniens, et ceux qui le soutiennent sont menacés d’une mort imminente. La fascination des Iraniens pour Israël découle en partie de leur désir de sanctionner leurs propres dirigeants. Ces hommes qui ont détruit leur pays en moins de quarante-cinq ans doivent être tenus responsables de leurs actions tôt ou tard.
Depuis l’avènement de la République islamique, les ayatollahs ont sacrifié les intérêts nationaux à leurs ambitions expansionnistes. Leur guerre autodéclarée contre Israël n’a jamais eu d’autre but que de séduire l’opinion publique du monde musulman, un monde sunnite originellement hostile aux ayatollahs shi’ites. En visant Israël, pays qui n’avait jusqu’alors pas témoigné d’hostilité envers l’Iran, les ayatollahs cherchaient à concrétiser leur rêve le plus cher : régner sur l’ensemble du monde musulman.
Contrairement aux shi’ites, l’islam sunnite n’a pas établi un clergé institutionnalisé et les religieux ont toujours été soumis aux politiques. Vers la deuxième moitié du 19e siècle, le clergé shi’ite est devenu de plus en plus puissant de telle sorte que sous le règne des trois derniers rois Qajar, particulièrement faibles et incompétents, les ayatollahs intervenaient officiellement dans les affaires politiques du pays, avec leur place attitrée dans la cour royale. Ce fut l’époque où les ayatollahs ont commencé à caresser le rêve de régner sur l’ensemble du monde musulman, aussi bien shi’ite que sunnite. Mais le grand obstacle à la réalisation de cette ambition était l’hostilité entre les deux branches de l’islam. Vers la fin du 19e siècle, dans les écrits des ayatollahs shi’ites l’invitation à la fraternité musulmane, au-delà du clivage shi’ite/sunnite, se fait de plus en plus fréquente.
Il a fallu attendre l’arrivée de Khomeyni sur le devant de la scène politique iranienne après la révolution de 1979 pour que l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien vienne en aide aux ayatollahs. Khomeyni a eu le génie d’inventer un slogan qui touche le cœur des Arabes sunnites : « Le chemin de Karbala passe par Ghods (Jérusalem) ». Cette phrase souligne la connexion symbolique entre les événements de Karbala, le lieu sacré du shi’isme en raison du martyre de l’imam Hussein, et le conflit israélo-palestinien, également importante dans le contexte de la solidarité musulmane et de la cause palestinienne. Khomeyni utilisait cette expression pour souligner l’importance de la résistance et de la lutte pour la justice dans la tradition islamique.
À ce titre, la République islamique a instrumentalisé le conflit entre Israël et la Palestine. Ce conflit, qui a été la source d’une grande frustration dans l’opinion publique du monde arabe, est ainsi devenu le pain bénit des ayatollahs, en leur donnant la possibilité d’alimenter leur popularité auprès des sunnites. Si les dirigeants conservateurs des pays arabes n’ont pas su protéger les Palestiniens, les ayatollahs shi’ites paraissent désormais comme les protecteurs de tous les musulmans du monde. La République islamique devient ainsi le champion dans la lutte contre les États-Unis et Israël dans le monde arabo-musulman, alors qu’aux yeux des Iraniens cette guerre est dépourvue de sens. Sans tenir compte du désir expansionniste des ayatollahs, leur acharnement contre Israël parait incompréhensible : pourquoi vouloir détruire l’État hébreu qui n’a rien entrepris contre l’Iran, puisqu’il n’y a jamais eu de conflit entre ces deux États ?
Contrairement aux dirigeants de leur pays, les Iraniens ne cherchent pas l’aventurisme régional ni l’ingérence dans les affaires d’autres pays. Ils recherchent une stabilité qui leur apporterait la sécurité, la paix et la prospérité. La politique étrangère du régime et son obsession pour la puissance nucléaire qui a coûté fort cher aux Iraniens sont les principales raisons de la rage que nourrit la société envers ses dirigeants. Si le conflit israélo-palestinien est l’instrument par excellence de la manipulation de l’opinion publique du monde arabe par les ayatollahs, la solidarité envers les Israéliens est le message le plus logique et le plus légitime que les Iraniens adressent désespérément au monde afin de démontrer le rejet de la diplomatie suicidaire de leurs dirigeants.
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