France: 5% des dépenses sociales mondiales edit
Rien ne vaut la règle de trois et les ordres de grandeur. En matière de comparaisons internationales, la disponibilité facilitée des données autorise maintenant des exercices simples et des conclusions frappantes. Les agences internationales (Banque mondiale et FMI aux premiers rangs) compilent, agrègent, analysent, critiquent. Les appareils statistiques recueillent des informations toujours plus fournies. Situer la France ne nécessite ni agrégation de statistique, ni exercices de comptabilité publique sophistiqués.
Les chiffres publiés par la division de la population de l’ONU indiquent que la France abritait 0,9% de la population mondiale à la fin des années 2000. Elle compte pour 0,8% aujourd’hui. Cette baisse procède des évidentes dynamiques démographiques à l’œuvre.
En matière de PIB, la Banque mondiale nous renseigne, entre autres, sur les valeurs en dollars. À la fin de la première décennie du millénaire, le PIB français correspondait à 4% du PIB mondial. C’est aujourd’hui 3%. Cette baisse découle des transformations économiques et géopolitiques, tout particulièrement de l’affirmation de la Chine.
Une donnée simple à établir
Ces calculs sont, au fond, très classiques. Un autre indicateur porte sur la protection sociale. L’Organisation internationale du travail (OIT) réalise un important travail de collecte et de mise en perspective des informations. Ses experts établissent, pour chaque pays et pour chaque grande région du monde, la part de PIB affectée à la protection sociale. Sont, de la sorte, additionnées les dépenses publiques de santé, de retraite, de chômage, d’accidents du travail, de politique familiale, etc. Sans surprise, car le constat est souvent répété, la France campe, en l’espèce, au premier rang. Avec une protection sociale à hauteur de 32,2% de son PIB (selon la nomenclature OIT) notre pays est toujours, en 2020, en tête du classement mondial, devant la Finlande et le Danemark.
À la même date, toujours selon l’OIT, la dépense sociale mondiale se monte à 18,9% du PIB mondial. Puisque l’on dispose des valeurs du PIB et des proportions relatives à la protection sociale, il est très aisé de déterminer ce que représente la dépense sociale française par rapport à la dépense sociale mondiale. Résultat : 5%.
Dans l’absolu rien ne permet de tirer immédiatement de ce constat qu’il y a trop en France et pas assez ailleurs, ou bien pas assez ailleurs et juste ce qu’il faut en France (voire, peut-être, insuffisamment encore). Il est bon, simplement de connaître ces proportions.
Avant les interprétations, que chacun voudra développer, il importe de souligner que le même exercice aboutissait, pour le début des années 2000, à une estimation se situant entre 10% et 15%. Comment expliquer ce recul ? Il ne découle nullement d’une réduction des dépenses sociales françaises. Il provient d’un changement plus global et plus important : l’extension de la protection sociale dans le monde.
Selon l’OIT, encore, 9% du PIB mondial s’affectait à ce domaine vers 2000. C’est le double aujourd’hui. Des pays, dont la Chine – qui a par ailleurs vu son PIB plus que doubler sur la période -, développent des programmes bien plus consistants qu’auparavant.
Un calcul qui n’a rien de simpliste
Ces chiffres sont issus de règles de trois des plus basiques, à partir des sources les plus officielles[1]. Pourtant ils déclenchent de petites controverses techniques et politiques.
Politique d’abord. Ces chiffres ont été repris par des personnalités libérales ou conservatrices. Cela a été le cas du directeur du Point, Etienne Gernelle et du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Plus récemment c’est le probable futur candidat Monsieur Z (comme il y a eu un Monsieur X, mais en plus connu), qui a déclaré « Nous représentons 1% de la population mondiale mais nous dépensons 10% des dépenses sociales du monde entier ». La donnée est alors devenue une donnée dite de droite et d’extrême droite. Commentateurs et « factchekers » patentés s’en sont emparés avec une ambition : l’infirmer et la discréditer.
Ces calculs simples, mais sur des sujets compliqués, valent une « désintox » de France Info[2], un « factcheking » de Libération[3] et un autre du Monde[4]. Il ne s’agit pas ici d’opérer le fact-cheking des fast-chekings, mais simplement de se demander à quoi ils servent quand ils sont d’abord motivés par une question politique et, surtout, quand ils aboutissent à confirmer les ordres de grandeur. Et si, dit-on, on pourrait faire dire n’importe quoi aux chiffres, ce n’est pas vrai des ordres de grandeur.
De façon assez surprenante, un exercice similaire, au résultat annoncé par Angela Merkel, n’a pas connu sa pluie de critiques et de réserves. En décembre 2012, la Chancelière, dans un entretien au Financial Times[5], indiquait que l’Europe représente à peine 7% de la population mondiale, seulement un quart du produit intérieur brut mondial, mais 50% des dépenses sociales du monde. Elle s’inquiétait même de la capacité à financer l’État-providence en Europe. Son estimation a été largement diffusée sans être frontalement critiquée ni « fact-checkée ». À cette époque, la France dans l'Union représentait, en 2012 donc, bien plus de 20% de la dépense sociale européenne, et par conséquent plus de 10% de la dépense sociale mondiale. Simple comme une règle de trois, toujours.
Technique ensuite. Si la politique a ses raisons et ses défauts, qu’en est-il sur le plan de la rigueur méthodologique ? Des réserves s’émettent naturellement, et sont à l’esprit de tous ceux qui veulent bien produire ces chiffrages. Première réserve : il faudrait systématiquement raisonner en parité de pouvoir d’achat. C’est assez vrai, comme cela est spécifié dans les chroniques présentant ces approches, mais, si cela changerait un peu la donne cela ne bouleverserait pas les résultats. Autre réserve : les éléments de protection sociale agrégés dans ces indicateurs ne sont pas toujours à leur place, les distinctions entre public et privé n’étant pas forcément toujours claires. Cette remarque revient comme une ritournelle critique dès que la première place de la France au classement mondial des dépenses sociales est évoquée. Elle a sa part de fondement, mais elle est très limitée. Elle revient, en réalité, à dire que les nomenclatures des organisations internationales ne valent pas grand-chose, ce qui est, d’abord, très prétentieux. Et ce qui empêche, en réalité, toute comparaison. Troisième réserve : la qualité des données varie sensiblement d’une zone géopolitique à l’autre. C’est un fait, mais là encore il faut faire un peu confiance aux appareils statistiques, sur les sujets sociaux et de dépenses publiques, non pas pour établir des vérités indiscutables à la décimale près, mais pour les grandes masses. Enfin, dernière réserve émise, les ratios et les moyennes déguisent des disparités considérables. C’est incontestable. Dans les données OIT nombre de pays en Afrique et en Asie se situent à des niveaux de protection sociale inférieurs à 5% de leur PIB contre une moyenne mondiale qui, à bien des égards, peut sembler élevée (près de 19% du PIB). Cependant ces disparités sont connues et ne remettent nullement en cause la démarche. En gros, cette ultime réserve revient simplement à la critique habituelle de la moyenne.
Toutes ces critiques méthodologiques ont, en réalité, en l’espèce, une portée limitée. Elles ne sont vraisemblablement enclenchées que dans une visée politique.
Un ordre de grandeur solide et une dynamique positive
Plus de 10% de la dépense sociale mondiale dans les années 2000, 5% à la fin des années 2000, l’image générale reste fondée. C’est celle d’une France qui demeure un pays à très haute densité de protection sociale, dont le système, discuté et disputé en interne, fait encore bien des envieux à l’échelle internationale. Mais il est concurrencé par d’autres modèles, dans un contexte de développement des mécanismes et des principes qui l’incarnent.
Alors on peut se gausser de Français qui critiquent ce dont ils profitent. On peut, encore, chercher à donner des bons ou mauvais points à Monsieur Z. et à d’autres responsables politiques et commentateurs. On peut aussi, et on doit surtout, se féliciter de l’extension de la couverture des risques partout sur Terre. Tout en conservant à l'esprit que moins de la moitié de la population mondiale bénéficie, aujourd’hui, d’au moins une prestation sociale. Par conséquent, si la France voit sa part de dépense sociale mondiale baisser rapidement, on peut probablement regretter que le mouvement ne soit pas plus intense encore.
Voici tout de même une conclusion plus intéressante que des chicaneries qui pourraient aboutir à empêcher toute comparaison chiffrée quand le résultat ne plaît pas.
[1]. On les a rapportés et expliqués dans deux chroniques « France : 15% des dépenses sociales mondiales » (Les Échos, 13 octobre 2014), « Dépenses sociales dans le monde : vive le déclin français » (Les Échos, 19 septembre 2021).
[2]. https://www.francetvinfo.fr/economie/budget/desintox-non-la-france-ne-represente-pas-15-des-depenses-sociales-mondiales_2833615.html
[3]. https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/22/la-france-represente-t-elle-1-de-la-population-mondiale-et-15-des-aides-sociales-comme-le-dit-le-poi_1659048
[4]. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/10/13/la-france-pese-t-elle-vraiment-10-a-15-des-depenses-sociales-mondiales_6098237_4355770.html
[5]. https://www.ft.com/content/8cc0f584-45fa-11e2-b7ba-00144feabdc0 Extrait : « If Europe today accounts for just over 7 per cent of the world’s population, produces around 25 per cent of global GDP and has to finance 50 per cent of global social spending, then it’s obvious that it will have to work very hard to maintain its prosperity and way of life »
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