Macron et l’Europe centrale et orientale: les défis du second mandat edit
Entre le président Macron et l’Europe orientale, les relations sont depuis le début orageuses, faites d’incompréhensions et de récriminations réciproques. Dans le contexte de la guerre en Ukraine et au seuil de son second quinquennat, le président français est placé face à de nombreux défis dans cette région à l’influence grandissante dans l’Union.
La guerre en Ukraine, un facteur essentiel de l’élection présidentielle française
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a commencé le 24 février, au moment même où Emmanuel Macron était censé lancer sa campagne électorale. Le retour de la guerre de haute intensité et à grande échelle en Europe a surplombé les débats électoraux et joué un rôle évident dans la victoire du président sortant.
En effet, l’agression russe en général et la posture stratégique du président Poutine en particulier ont contribué à discréditer les principaux rivaux du président sortant : Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon ont depuis longtemps soit cultivé des relations politiques avec le maître du Kremlin, soit soutenu tel ou tel aspect de sa politique intérieure soit, même, justifié certains volets de sa politique extérieure comme l’annexion de la Crimée en 2014.
De son côté, malgré la campagne électorale et la période de réserve, le président français, une fois de plus, endossé le rôle de leader européen pour soutenir l’Ukraine contre la Russie, lancer six vagues de sanctions contre la Fédération, fournir équipements et informations militaires à Kiev et financer le fonctionnement de l’Etat ukrainien. Si besoin en était, en France, son action en Europe centrale et orientale a renforcé encore son statut d’homme d’Etat, son statesmanship et, par comparaison, décrédibilisé ses opposants. Le rôle central de l’Europe de l’Est dans les débats hexagonaux s’est manifesté durant le débat du second tour : c’est notamment sur la question russe que le président Macron a fait la différence avec son opposante, Marine Le Pen, en pointant les proximités financières et idéologiques du Rassemblement national avec le gouvernement russe.
Si la politique étrangère ne suffit pas à emporter une élection, la guerre en Ukraine a largement aidé le président sortant à se démarquer des autres candidats. Dès lors qu’il s’agissait de faire face aux conséquences de cette crise majeure – extension de la guerre, risque nucléaire, ou dégradation des conditions économiques – il est apparu comme le mieux placé dans la plupart des électorats.
Son action résolue contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie ne suffira pourtant pas à établir la France comme puissance d’équilibre en Europe centrale et orientale, que ce soit vis-à-vis des Etats membres de l’Union européenne (les trois Etats baltes, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Slovénie) ou vis-à-vis des Etats non-membres (Moldavie, Balkans, Ukraine et Caucase). En effet, dans son premier quinquennat Emmanuel Macron a choisi une stratégie de tension avec cette région du monde, notamment la Pologne du PiS et la Hongrie de Viktor Orban. De sorte que les opinions et les gouvernements locaux ne sont pas prêts à accepter un rôle renforcé de la France dans la zone. Ces tensions sont aujourd’hui très visibles dans les critiques adressées à la France : celle-ci se trouve constamment accusée de ne pas soutenir suffisamment l’Ukraine contre la Russie en raison de sa position nuancée sur l’adhésion immédiate de Kiev à l’Union européenne par exemple.
Si le positionnement d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine a contribué à sa victoire à l’intérieur, à l’extérieur, sa politique russe est source d’anxiété et d’incompréhensions à l’Est de l’Europe.
Entre Paris et l’Est, un premier mandat marqué par les tensions
En Europe centrale et orientale, l’influence française pâtit aujourd’hui de plusieurs insuccès du premier mandat Macron.
D’abord et avant tout, les Etats du flanc oriental de l’Europe cultivent un véritable ressentiment contre « l’esprit de Brégançon ». Il faut rappeler qu’en août 2019, juste avant le sommet du G7 a Biarritz, le président français avait tenu à recevoir son homologue russe au Fort de Brégançon pour montrer que la France restait fidèle à sa doctrine du « dialogue exigeant » avec la Russie. Alors même que la Russie était exclue depuis cinq ans de la plupart des enceintes internationales occidentales, le président français avait choisi de cultiver sa différence, issue de la tradition gaullienne du dialogue franco-russe. Ce choix avait profondément inquiété l’Est de l’Europe : à Riga et à Varsovie, l’esprit de Brégançon était qualifié de double jeu dangereux pour la sécurité de l’Est de l’Europe. Ce ressentiment s’exprime encore aujourd’hui à l’encontre de la diplomatie française quand cette dernière s’efforce de trouver une porte de sortie pour la Russie, alors que les plus véhéments ne peuvent entendre qu’un discours de victoire totale contre Vladimir Poutine.
De même, la fameuse interview de 2019 sur la « mort cérébrale » de l’OTAN avait été très négativement perçue à l’Est de l’Europe. Cela était apparu, là encore, comme une complaisance coupable de la France à l’égard de la Fédération de Russie. Que le président Trump et le camp républicain, depuis les Etats-Unis, aient beaucoup contribué à ce constat n’est pas perçu comme une circonstance atténuante. Encore en 2022, dans ces Etats, cette formule est rappelée avec amertume : pour bien des responsables politiques d’Europe de l’Est, le président français est tenté de sacrifier l’OTAN à sa vision de « l’autonomie stratégique » européenne. Il s’agit là bien plus que d’un malentendu ou d’un faux pas : en Europe orientale, en 2022 plus encore qu’en 2019, le concept même d’autonomie stratégique européenne est considéré comme une naïveté, un aveu de faiblesse et même un esprit capitulard face à la Russie.
Enfin, le choix politique d’affronter les gouvernements PiS et Fidesz au sein des institutions européennes est perçu de façon peu favorable à l’Est de l’Europe. On s’en souvient, durant la campagne électorale des Européennes de 2019, les gouvernements polonais et hongrois avaient été choisis comme adversaires principaux en raison de leurs dérives sur les valeurs, de démocratie et d’Etat de droit. Ainsi, leurs réformes judiciaires, leurs contrôles sur les médias publics, la remise en cause du droit à l’avortement et leur absence de solidarité durant la crise des réfugiés de 2015 avaient constitué autant de clivages qui avaient débouché sur l’adoption de sanctions contre la Pologne et la Hongrie pour atteinte à l’Etat de droit. Même si ces initiatives sont saluées et soutenues par les partis apparentés à LREM au sein de Renaissance, elles ont polarisé l’image de la France sur le flanc Est de l’Europe. En effet, la France de Macron est bien souvent en butte à un procès en mépris pour l’Europe orientale, une critique constante que l’on retrouve à l’égard de la diplomatie française dans la région.
Malgré le soutien apporté à l’Ukraine depuis 2014 dans le cadre des accords de Minsk, malgré une présence militaire renforcée localement et de nombreux voyages bilatéraux, et malgré un accord avec la Pologne sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, notamment sur la PAC, le premier mandat Macron est, en Europe centrale et orientale, perçu comme celui du dialogue naïf avec la Russie, de la critique dangereuse de l’OTAN et de la tension avec les souverainistes.
De nouveaux défis
La situation actuelle dans la région ouvre des opportunités pour le président français au seuil de son premier mandat.
Le premier défi concerne la politique russe de la France et de l’Union européenne. Le dilemme est classique : comment soutenir le flanc est de l’Europe sans couper les relations avec Moscou. Aujourd’hui, la présidence française de l’Union européenne peut à bon droit revendiquer une inflexion substantielle dans la politique russe de l’Union : elle a fait passer les 27 de sanctions ciblées à des sanctions massives. Ce faisant, Macron a clairement rompu avec « l’esprit de Brégançon » : la France est devenue un soutien fiable de l’Ukraine y compris au sein de l’Union. Si les critiques contre sa volonté de dialoguer avec Poutine existent, le président français rappelle systématiquement qu’il le fait à la demande de son homologue ukrainien. Des critiques sont également formulées, depuis Tallinn ou Varsovie, contre le refus d’endosser le terme de « génocide » en parlant des actions de la Russie, contre les soupçons d’acceptation de concessions territoriales ukrainiennes (soupçons liés à un entretien de Zelenski dont le propos a finalement été démenti), et contre le fait de ne pas se rendre à Kiev en démonstration de son soutien, comme d’autres dirigeants ont pu le faire. Pour autant, même si les maximalistes d’Europe orientale critiquent la présidence Macron au motif qu’elle pourrait faire davantage, la position française est aujourd’hui dictée par l’objectif de faire échouer l’offensive russe, livrant discrètement des armes de premier choix (canons Caesar). Dans un deuxième temps, la France devra mettre en avant ce bilan pour rappeler ses partenaires de l’Est à la difficile Realpolitik. De fait, au moment des négociations de cessez-le-feu puis de paix, la France pourrait être la seule puissance internationale à pouvoir tout à la fois proposer des concessions mutuelles puis garantir l’accord. Le défi est d’importance : il s’agit tout à la fois de rester inflexible sur la souveraineté ukrainienne à court terme et de trouver des positions de négociations à moyen terme. Si « l’esprit de Brégançon » est bel et bien mort, en revanche, la France doit réinventer sa position dans la zone comme garantie aux futurs accords.
Les Balkans constitueront assurément le deuxième défi du nouveau mandat Macron. Qu’on en juge : si les Etats candidats ou potentiellement candidats (Serbie, Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro) ne font pas partie de l’Europe centrale et orientale, leur adhésion constitue toutefois une priorité pour les Etats membres de l’Union de cette région. Là encore, la PFUE dispose d’une fenêtre d’opportunité avec le sommet sur le sujet réuni par la France en juin à Paris. Là encore le défi pour la France s’exprime en termes temporels. D’un côté, les Etats candidats sont inscrits dans le long terme de la reprise de l’acquis communautaire alors que, de l’autre, l’Ukraine réclame une adhésion selon une procédure rapide. L’élargissement au Sud Est et à l’Est constitue un test difficile pour la présidence française. La France doit faire comprendre que l’adhésion à l’Union européenne n’est pas la solution de court terme dont a besoin l’Ukraine, que l’adhésion des Etats des Balkans est, elle, la perspective la plus solide et enfin, que l’élargissement ne doit pas conduire à une dilution des liens de l’Union. Il reste à voir si la « Communauté politique européenne » proposée par Emmanuel Macron le 9 mai à Strasbourg peut se réaliser dans ce contexte où il n’existe pas de « voie accélérée » pour l’élargissement.
Enfin, le troisième défi de la France sera de continuer à mettre en évidence la nécessité de capacités militaires et stratégiques autonomes des Européens au moment même où l’OTAN connaît une reviviscence rapide. A court terme, la cause semble entendue : les Etats-Unis sont de retour en Europe notamment via l’OTAN ; même la Suède et la Finlande, Etats neutres par excellence, ont déposé leurs candidatures ; un effet domino est déjà à l’œuvre avec la reprise des demandes ukrainiennes ou géorgiennes. Il convient donc, pour la France, de trouver, à moyen terme, une façon de faire comprendre, à l’Est, que l’OTAN n’est pas la seule garantie de sécurité possible. De ce point de vue, les prochaines élections américaines auront de ce point de vue une importance particulière, de même que le comportement de la Turquie au sein de l’Alliance atlantique. Dans ce basculement du centre de gravité de la géopolitique européenne, la France, face au risque de voir se diluer son influence, doit renforcer ses liens avec l’Europe centrale et orientale.
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