Frexit: deux ou trois choses que Le Pen et Mélenchon ne vous disent pas... edit
Un Français sur deux considère qu’on peut jeter par dessus bord soixante ans d’intégration européenne, sortir de l’euro, augmenter massivement la dépense publique, redistribuer à tout va malgré la dette accumulée et ce sans que jamais les enjeux réels soient explorés, sans que de vrais débats contradictoires aient lieu, sans que les expériences vécues ailleurs soient explorées.
Face aux propositions de Frexit de Marine Le Pen ou aux plans A et B de Jean-Luc Mélenchon, longtemps l’attitude dominante consistait à ne pas entrer dans le détail des propositions au triple motif qu’il s’agissait de discours de protestation et non d’un programme, à cause du caractère marginal des électorats extrêmes et du plafond de verre que subissaient leurs leaders, parce que les Le Pen variaient dans leur programme de l’ultra-libéralisme au néo-communisme et que Mélenchon oscillait entre bolivarisme et communisme vert.
Les choses changent et la dédiabolisation de Marine le Pen ou la montée dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon ont conféré au discours de ces candidats une aura de sérieux troublante. Si bien que les contradictions internes des discours, les propos péremptoires des uns et des autres, les contre-vérités manifestes, les leçons les plus évidentes de l’expérience sont comme dissoutes par la vertu de la crédibilité que confèrent les sondages, la reprise en boucle d’arguments contestables et la tétanisation des adversaires.
Les arguments les plus évidents fondés sur des risques ou des expériences similaires sont balayés d’un revers de la main à grand renfort d’affirmations ronflantes, de disqualification des experts les plus modérés et de mobilisation « d’experts alternatifs » dont Jacques Sapir est le prototype.
Dans tout autre pays que la France et dans les mêmes circonstances un tout autre débat que celui sur la Lex Monetae ou l’euro monnaie commune s’instaurerait dans les media et entre responsables politiques, on évoquerait les effets combinés des plans de relance et des menaces de sortie de l’euro sur l’inflation ou la hausse des taux. Il suffit d’observer ce qui s’est passé en Grèce quand le Grexit fut évoqué, en Argentine quand le décrochage du dollar a été décidé ou en Italie et en Espagne quand les perspectives de crise bancaire commencèrent à se matérialiser pour décrire les effets d’un éventuel Frexit. Lorsque Mélenchon annonce une hausse massive du SMIC, un relèvement à 1000 euros des minima sociaux, le recrutement de 60 000 enseignants, une revalorisation salariale générale dans la fonction publique, un service citoyen de 9 mois, des contrats jeune de cinq ans, une SS remboursée à 100%, c’est de son propre aveu 173 milliards d’euros supplémentaires de dépenses qu’il compte engager. Face à ces dépenses les économies sont minces et le prélèvement fiscal et social sera augmenté de près de 100 milliards d’euros. Face à ce tsunami de dépenses et de prélèvements nouveaux auxquels Mélenchon ajoute 100 milliards d’investissements nouveaux. Ce programme disruptif, il se fait fort de le faire accepter au niveau européen au nom de la rupture avec la stratégie austéritaire, de la relance par l’investissement et de l’accompagnement par une BCE conquise par les idées de croissance de Mélenchon, c’est ce qu’il nomme le plan A. Il suffit d’évoquer ce programme pour arriver à la conclusion qu’il n’a aucune chance de se matérialiser, d’où la nécessité d’envisager un plan B de sortie des Traités.
C’est chez Marine Le Pen qu’on trouve la panoplie la plus complète de l’argumentation proFrexit que partage largement Jean-Luc Mélenchon.
Sept arguments partiellement contradictoires forment la trame des arguments frontistes.
« La Lex monetae, c’est-à-dire le privilège souverain d’une nation à définir sa monnaie, permet la redénomination de l'intégralité de la dette française en renvoyant aux tribunaux français les éventuels contentieux. Convertir la dette en francs ne comporte pas de coût, c’est une opération qui peut se faire sans drame à court terme et qui libère l’économie française à moyen terme. » Cette assertion est triplement erronée.
La simple perspective de la sortie de la France de l’euro ferait turbuler les marchés. La France, pour éviter une panique bancaire (bank run) sera contrainte de limiter les retraits aux distributeurs automatiques, elle devra pour éviter la fuite des capitaux instaurer le contrôle des changes et faire appel au soutien de la BCE. Il suffit de revoir le film du défaut annoncé de la Grèce et du risque de Grexit pour comprendre qu’on ne peut évoquer impunément la perspective du Grexit sans en payer le prix par avance.
La dette publique étant CACisée à 40% et détenue par des investisseurs étrangers à 60% ne sera pas en majorité remboursée en francs, car les agences de notation déclareront la France en défaut et les créanciers utiliseront les clauses d’action collective (CAC) pour réclamer devant les Tribunaux un règlement en euros. Les clauses CAC que la France a acceptées à partir de 2013 prévoient explicitement que la redénomination est assimilable à un défaut et qu’elle ouvre droit à une organisation des créanciers contre le prêteur défaillant.
Pendant le temps de la transition, le coût de la dette s’envolera et l’accès aux marchés se tarira. Il faudra alors soit décréter une politique de super-austérité contraire aux autres promesses marinistes, soit s’engager dans une logique de répression financière et de spoliation de l’épargne.
L’enjeu, on le voit, varie selon que l’euro survit au Frexit ou pas. Le maintien de l’euro rend l’opération de redénomination plus difficile car l’euro est une monnaie nationale et étrangère à la fois. De plus la longue période d’incertitude qui va du risque de redénomination à l’institution d’un nouvel ordre monétaire européen aura des effets financiers et réels. Le précédent argentin montre que la lorsque les créanciers sont lésés, ils peuvent saisir les biens des créanciers hors de France, ils poursuivent l’Etat défaillant devant les tribunaux et les Cours arbitrales partout dans le monde pour échapper à leurs pertes voire, pour les plus activistes d’entre eux, s’enrichir !
« La Lex Monetae s’applique à la dette publique comme à la dette privée, les tribunaux français auront seuls à connaître d’un éventuel contentieux. » Là aussi la tromperie est manifeste. Comme l’ont établi sur des bases différentes les chercheurs de l’OFCE et ici même Eric Chaney, c’est près de la moitié de la dette des sociétés financières (SF) et des sociétés non financières (SNF) qui a été levée hors de France et sauf à spolier les partenaires étrangers pour des opérations réalisées en France aucun industriel ou acteur économique ne prendra le risque d’une contestation de sa dette sauf à remettre en cause les flux d’affaires et l’architecture des contrats. Rappelons les chiffres fournis par Eric Chaney : « l’encours de dette privée est de 1405 milliards d’€ pour les SF et 671 milliards d’euros pour les SNF soit 2078 milliards d’€ soit 92,4% du PIB dont 51,3% sont détenus par des non-résidents ». Dans ce cas il y a donc impossibilité légale de redénomination ou impossibilité pratique, les entreprises étant mises en défaut ou devant constater un accès barré aux refinancements. Pour les grandes entreprises publiques très endettées, une crise financière majeure est à prévoir avec obligation de cession d’actifs. Facteur aggravant pour les banques françaises leur exposition en volume des crédits détenus sur des pays fragiles comme Italie Espagne ou Portugal est importante. Sous des dehors techniques l’argumentation sur la Lex Monetae masque ainsi un impact majeur sur l’économie réelle qui devrait se traduire par des pertes, des faillites ou des restructurations économiques.
« Il n’y aura pas d’incidence sur l’épargne détenue par les ménages français, ajoutent les experts marinistes, une épargne constituée en euros en France sera convertie en francs sans que son pouvoir d’achat domestique soit si peu que ce soit entamé. » La tromperie est là aussi manifeste. Qui peut croire qu’une épargne libellée en euros ne soit pas entamée après une conversion accompagnée d’une dévaluation ? Du reste ceux qui auront transféré leurs euros en Allemagne ou au Luxembourg jouiront d’une situation plus favorable que ceux qui auront conservé leurs actifs financiers en France. Pour Mélenchon la spoliation des rentiers et la surtaxation des gros patrimoines est un des effets désirés de l’alternance, aussi ne verse-t-il pas de larmes de crocodiles sur les effets de la répression financière, il envisage même ce qui est logique des nationalisations bancaires et une finance mise au service des objectifs politiques.
Le produit phare de l’épargne financière des Français étant l’assurance vie, qui ne voit que la hausse des taux fait baisser la valeur du stock obligataire quant aux obligations italiennes espagnoles… libellées en euros et qui seront elles aussi redénominées en cas d’éclatement de la zone euro ; une perte devra aussi être constatée ! Le tarissement éventuel des marchés pour le financement de la dette française n’inquiète pas davantage le FN qui veut en fait renationaliser la détention de la dette, mais cela ne peut se faire que par des mesures de répression financière qui affaiblissent davantage les épargnants.
« L’euro a déjà été dévalué de 30% au cours des cinq dernières années par rapport au dollar, ajoute Marine le Pen, personne ne s'en est rendu compte il ne sera pas nécessaire de dévaluer nous sommes à la bonne parité ! » On reste interdits devant une telle proposition : si nous sommes à la bonne parité, pourquoi sortir de l’euro ? Si la redénomination aboutit au maintien de la parité un Euro = 1 EuroFranc par quel miracle va-t-on améliorer la compétitivité des produits français en Europe et dans le reste du monde ? « Au total, il n’y aura pas de pertes de pouvoir d’achat des ménages, affirme Marine le Pen, au contraire les taxes levées à l’import permettront d’améliorer la rémunération des travailleurs français. » Avec cet argument on est en économie vaudou : comment un pays qui dépend largement de l’importation de ses matières premières, dont le contenu en importations de ses exportations est à 25%, n’aurait-il pas à souffrir d’une éventuelle dévaluation ?
Raffinant encore davantage leur raisonnement en prenant encore plus de libertés avec le réel, Marine le Pen et Jean Luc Mélenchon suggèrent que de toute manière la France proposera une monnaie commune et que le franc sera accroché à cette monnaie, dans ce cadre c'est l’euro mark qui réévaluera, le franc ne dévaluant que très marginalement. Là aussi nos politiques radicaux inspirés par Sapir prennent leurs désirs pour des réalités. Pourquoi diable nos partenaires de la zone euro nous suivraient-ils dans cette aventure alors que les pays du Nord auraient intérêt à maintenir un euro-nord et que les pays du Sud n’auraient aucun intérêt à servir de bouclier au franc ! Certains experts du FN avancent une thèse plus subtile : avec l’euro monnaie commune l’euromark réévaluerait de 12% et l’eurofranc dévaluerait de 6%… mais c’est bien une dévaluation de 18% que les Français devraient constater par rapport à la situation actuelle ! C’est ce qui conduit divers think tanks à quantifier les pertes de revenus des ménages en fonction de leur propension à consommer et du ratio d’importations par type de biens. Ainsi Terra Nova évalue à 1500 euros la perte de pouvoir d’achat pour les ménages modestes dans l’hypothèse d’une dévaluation de l’eurofranc de 20%. Au total, si la zone euro éclate, des évolutions divergentes seront constatées entre France, Italie et Allemagne. Mais la France est la France et ce n’est pas rien, ajoute Mélenchon, qui considère que la seule perspective du retrait français conduira l’Allemagne à accepter nos conditions !
Dernier argument financier, la ré-institution de la Banque de France permettra de recourir à un financement monétaire, libérant la France de la contrainte de la BCE, des obligations liées au Traité de Maastricht et même de la discipline budgétaire puisque la Banque de France financera à jet continu la dépense publique. Faut-il ajouter qu’on recréera alors les dynamiques inflationnistes qu’on a eu tant de mal à juguler par le passé ? Les vertus de l’amnésie sont bien connues en économie, elles permettent périodiquement de refaire les mêmes erreurs. La lutte contre l’inflation qui fut la perspective majeure des économies développées des années 70 et 80 est simplement effacée et nos candidats renouent allégrement avec les joies de la planche à billets et la taxation des plus faibles par l’inflation.
« Le bénéfice manifeste d’une telle opération, c’est la gloire du « made in France », un franc fortement dévalué, c’est l’assurance d’une compétitivité retrouvée et dans la foulée d’une réindustrialisation massive ! » On est là aussi saisis par l’ignorance des dirigeants radicaux sur les dynamiques de spécialisation. Comment expliquer que les relances de demande en France se traduisent par une envolée des importations et non par une croissance de la production domestique (70 centimes d’euro d’importations supplémentaires pour 1 euro de relance selon Patrick Artus) ? Comment expliquer que la dévaluation de l’euro ait si peu profité aux exportations françaises dans le reste du monde ? Comment croire qu’un éclatement de la zone euro nous profiterait en rétablissant notre compétitivité par rapport à l’Allemagne mais en oubliant qu’elle dégraderait notre compétitivité par rapport à l’Espagne et à l’Italie ? Qui peut croire qu’un tissu industriel troué et lacunaire pourrait se reconstituer comme par enchantement ?
La vérité, comme l’ont établi les spécialistes du système productif français, est que la France a une spécialisation moyen bas de gamme comme l’Espagne avec les coûts d’un pays haut de gamme comme l’Allemagne et que cet état de fait est le produit de trente ans de déformation progressive de notre spécialisation.
La vérité, comme l’ont établi les chercheurs du CEPII, est qu’une sortie de l’euro n’améliorerait pas en moyenne la situation de notre commerce extérieur, dégradant la situation relative de certains secteurs comme l'agriculture et améliorant la situation d’autres comme le tourisme, bénéficiant à la France vis-à-vis de quatre pays de la zone euro dont l’Allemagne et les Pays Bas à cause de la dépréciation de l’eurofranc mais dégradant la situation relative de la France par rapport à tous les autres pays de l’eurozone (pays du Sud mais aussi Autriche et Belgique). Au total c’est 55% de nos exportations qui seraient plus chères après dévaluation.
Parmi les mythes qui nourrissent les arguments des partisans du Frexit il faudrait mentionner aussi la liberté retrouvée en matière budgétaire qui permettrait des politiques audacieuses de relance, ou encore la maîtrise par des autorités nationales de processus financiers qui relèvent de l’interaction des marchés dans un univers globalisé, ou enfin la pleine maîtrise de la politique monétaire… alors que l’euro a été inventé pour que la France partage la souveraineté monétaire allemande au lieu de se contenter de la subir !
Face à des stratégies qui provoqueront au minimum l’appauvrissement des Français et la mise sous tutelle par les marchés et les institutions financières internationales, on peut se rassurer en évoquant les obstacles institutionnels au Frexit.
Tout d’abord, une présidence Le Pen ou Mélenchon sera impuissante sauf à pouvoir s’appuyer sur une majorité au Parlement. Or tout laisse penser que la règle qui veut que le peuple français donne une majorité au Président élu ne sera pas confirmée cette fois-ci à cause du caractère radical du Président en cause. De plus l’appartenance à l’UE étant inscrite dans notre Constitution, il faudrait un double référendum pour réformer la Constitution puis pour soumettre au peuple le Frexit et engager le processus de sortie. Complication supplémentaire, Mélenchon veut une Constituante pour préparer dans la foulée une VIe République. Mais les effets déflagratoires des politiques annoncées par ces candidats radicaux se manifesteront dès que la probabilité de leur élection sera significative. L’attaque contre la dette française, la fuite des capitaux, le contrôle des changes feront monter les taux et rendront plus difficile le financement de la dette. Nul concours ne pourra être demandé et obtenu des partenaires européens sans l’abandon pur et simple des chimères évoquées ici.
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