Les jeunes et le RN edit
Comme prévu le RN a remporté les élections européennes. On ne dispose pas encore, au moment où sont écrites ces lignes, de sondages de sortie des urnes sur le vote des jeunes. Mais un sondage pré-électoral de l’IFOP du 16 mai dernier avait fait sensation[1]. Il portait sur les jeunes de 18 à 25 ans et les élections européennes et montrait que, comme pour le reste de la population, le Rassemblement National y faisait largement la course en tête : à la question de savoir pour quelle liste il y aurait le plus de chances qu’ils accordent leurs suffrages, 32% des jeunes choisissent la liste menée par Jordan Bardella, soit un score équivalent à celui de la population générale. Les autres listes sont très loin derrière : 17% pour LFI, 9% pour les Ecologistes, 8% pour le PS-Place publique, 6,5% pour les Républicains et seulement 6% pour la liste Renaissance.
Selon un sondage Elabe, au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 17% des 18-24 ans avaient voté pour Marine Le Pen (34% pour Jean-Luc Mélenchon, 25% pour le Président sortant). Bien sûr les élections ne sont pas comparables, néanmoins la progression de l’attrait du RN auprès des jeunes est impressionnante.
Il faut également nuancer ce résultat puisque la même enquête de l’IFOP nous apprend que 70% des jeunes pensaient s’abstenir ! Si l’on ne tient compte que des votants potentiels, ce ne sont ainsi qu’un peu moins de 10% d’entre eux qui disent faire le choix du RN pour ces élections européennes. Il faut donc raison garder, la jeunesse ne s’est pas livrée toute entière au RN, loin s’en faut. Mais il n’y a pas de quoi trop se réjouir, puisque son premier parti est, de loin, celui de l’abstention. Même durant l’élection présidentielle, plus mobilisatrice, 42% des jeunes s’étaient abstenus en 2022. Dans l’enquête Jeunesse plurielle[2] conduite avec Marc Lazar en 2021, nous parlions d’un vaste mouvement de désaffiliation politique touchant une grande partie de la classe d’âge. Celui-ci se confirme d’élection en élection.
Néanmoins, même s’il doit être relativisé, le résultat prévisible du RN auprès de l’électorat jeune constitue peut-être un fait nouveau. Quelles pistes d’interprétation sont envisageables ?
Lorsqu’on analyse les réponses des jeunes aux questions de l’enquête IFOP, une première chose frappe : les très forts clivages dans la notoriété des principaux candidats aux élections européennes. 3 candidats se détachent très largement : Jordan Bardella que 79% des jeunes interrogés disent connaître, Jean Lassalle (!) pour 77% et Marion Maréchal pour 73%. Tous les autres candidats ont un score de notoriété au mieux égal à 40% ! Manon Aubry, la tête de liste LFI, n’est connue que par 40% des jeunes électeurs, Valérie Hayer, la chef de file de la majorité présidentielle à cette élection, par 32%, Raphaël Glucksmann par 29% et Marie Toussaint pour les écologistes, qui portent des thématiques qui pourraient pourtant attirer les jeunes, par 28% seulement.
Ce très fort déficit de notoriété auprès des jeunes de la plupart des principaux candidats à cette élection montre d’une part l’éloignement à l’égard de la politique d’une grande partie d’entre eux et d’autre part l’échec des partis et de l’Europe elle-même à les mobiliser sur les questions européennes. D’ailleurs en réponse à une autre question de l’enquête 62% des jeunes disent qu’ils vont voter en fonction d’enjeux nationaux plutôt que d’enjeux européens (contre 46% aux Européennes d’avril 2019).
Mais pourquoi Jordan Bardella échappe-t-il au déficit de notoriété dont pâtissent les principaux autres candidats ? Il peut y avoir bien sûr des raisons purement politiques et j’essaierai d’en cerner quelques-unes. Mais il y a aussi la stratégie électorale du candidat qui joue certainement un rôle. Jordan Bardella a 1,3 millions d’abonnés sur TikTok. Or TikTok et Instagram sont cités par 56% des jeunes comme moyens pour s’informer sur le déroulement de la campagne. Dans un contexte de faible mobilisation politique d’une grande partie de l’électorat juvénile cette proximité que le candidat du RN peut entretenir avec lui via les réseaux sociaux est certainement un atout considérable.
Une enquête du Monde sur « cette jeunesse qui votera pour Jordan Bardella et le RN aux élections européennes » (Le Monde Campus, 28 mai 2024) cite des jeunes qui suivent Jordan Bardella « sur tous les réseaux [sociaux] », et ne tarissent pas d’éloges, le trouvant « percutant, très bon orateur, avenant ». Certains le voient même comme un « porte-parole » de leur génération. Une partie de la jeunesse, peu politisée, est d’abord sensible à l’image que véhicule le candidat et quoi de mieux que les réseaux sociaux pour diffuser cette image de « gendre idéal » issu de la classe moyenne et qui a grandi en banlieue.
Il y a aussi évidemment des aspects plus directement politiques dans le succès de Jordan Bardella auprès de cet électorat. L’enquête du Monde montre qu’il donne le sentiment à une partie de celui-ci de représenter « la France des oubliés », celle des zones rurales, celle des jeunes peu diplômés ou qui ont fait des études professionnelles non universitaires ; des jeunes qui ont des préoccupations très pragmatiques concernant la formation, l’emploi, leurs revenus ou le logement.
Force est de constater que les débats politiques consacrés à ces élections européennes leur ont certainement paru très éloignés de leurs préoccupations. Ces débats de portée générale, sur des sujets économiques, environnementaux ou institutionnels ont évidemment des liens directs avec les attentes pragmatiques des jeunes, mais beaucoup d’entre eux ne les voient pas, par manque de culture politique, par désintérêt ou par défiance. Les candidats eux-mêmes font-ils les efforts nécessaires pour traduire en termes concrets, concernant la vie quotidienne des jeunes, leur programme politique ? Sur ce plan, l’avantage des populistes est qu’ils traduisent directement certaines aspirations populaires sans se préoccuper de leur crédibilité et de leur applicabilité.
Les jeunes interrogés par Le Monde, séduits par Jordan Bardella, retiennent avant tout ce sentiment de proximité avec le candidat. Les autres candidats disent certains, « c’est un autre monde, on a l’impression qu’ils ne parlent pas la même langue ». La distance grandissante d’une partie des nouvelles générations d’avec le monde politique et ses codes favorise évidemment les candidats populistes d’une double manière. D’une part, n’ayant jamais gouverné ils peuvent aisément critiquer les « élites » qui se sont partagées le pouvoir depuis l’avènement de la 5e République et ce discours porte auprès d’un public très défiant à l’égard de la politique institutionnelle ; d’autre part, une grande partie de ces jeunes « désengagés »[3], issus de familles à faible capital culturel et sans culture politique (ou proches elles-mêmes du RN), soit ne disposent pas des armes nécessaires à une lecture critique du programme démagogique du RN, soit se désintéressent fondamentalement du programme et ne retiennent que la posture protestataire du candidat et de son parti.
La gauche n’a pas aidé. Traditionnellement elle représentait et traduisait politiquement les aspirations populaires. Or LFI qui la domine aujourd’hui, a abandonné ce rôle en choisissant de polariser le débat autour de la question de l’islamophobie et plus récemment autour de la question palestinienne. Or ce sont à l’évidence des enjeux qui restent largement étrangers à cette jeunesse populaire désengagée. Ils séduisent sans doute une partie des jeunes les plus diplômés, mais le clivage culturel est profond et l’exposition médiatique des étudiants de Sciences Po et de l’ENS autour de ces enjeux donne une image totalement biaisée de l’ensemble des jeunes. Aucun des jeunes interrogés par le Monde ne fait référence à la question palestinienne.
Quant à la liste PS-Place publique, sa tête d’affiche, Raphaël Glucksmann a certainement une image trop parisienne et trop intellectuelle pour séduire cette jeunesse populaire et la représenter. A-t-il d’ailleurs cherché à le faire ? Même si c’est injuste, il correspond sans doute (pour ceux qui le connaissent et qui sont peu nombreux !) dans leur esprit à ce que dit l’un d’eux interrogé par le Monde : « aujourd’hui la gauche, c’est la gauche caviar, la gauche des villes, le spectre politique n’a plus de sens ».
Ce succès annoncé de la liste RN auprès des jeunes est aussi un grave échec pour le parti présidentiel (6% d’intentions de vote des 18-24 ans). En voulant centrer le débat autour du RN il semble n’avoir fait que le renforcer, semblant oublier la concurrence de la liste PS-Place publique. Et surtout, il s’est fait voler le joker de la jeunesse : le candidat jeune qui attire les jeunes, ce n’est plus Emmanuel Macron, ni même Gabriel Attal, c’et Jordan Bardella.
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[1] Les jeunes et les élections européennes de 2024 pour l’ANACEJ et les Jeunes européens, sur un échantillon de 1 506 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 25 ans. Consultable en ligne : https://www.ifop.com/publication/les-jeunes-et-les-elections-europeennes-de-2024/
[2] https://www.institutmontaigne.org/publications/une-jeunesse-plurielle-enquete-aupres-des-18-24-ans
[3] Dans l’enquête « Une jeunesse plurielle » réalisée pour l’Institut Montaigne en 2021, une typologie des attitudes sociopolitiques des jeunes distinguait quatre groupes, dont un groupe dénommé les « désengagés », représentant 26% des 18-24 ans et caractérisé par un très fort désintérêt pour toutes les questions sociétales et politiques et peu convaincus de l’importance d’un gouvernement démocratique du pays. Il s’agit de jeunes de milieu populaire, peu diplômés, et vivant plus souvent en zones rurales.