Trump et Poutine: la double face de Janus? edit

27 mars 2025

L’entrevue dégradante et largement médiatisée entre les présidents Trump et Zelensky fin février à la Maison Blanche a scellé en direct la trahison des alliances conclues après 1945 et la volonté de retrait américain de l’Ukraine. Mais elle a aussi mis en lumière les convergences entre les présidents américain et russe. Si l’Amérique trumpienne courtise la Russie poutinienne, c’est que les deux présidents ont beaucoup en commun.

La notion d’empire et celle d’impérialisme restent fondamentales pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans la Russie poutinienne comme dans l’Amérique trumpienne. La réélection de Donald Trump s’avère comme une planche de salut pour une Russie dont la projection impériale se heurte aux limites économiques et humaines d’une puissance aux ressources limitées. Les décisions de Trump ces derniers mois sont exactement l’inverse de la stratégie suivie par Ronald Reagan il y a quatre décennies : face à une URSS enlisée en Afghanistan, Reagan avait prononcé le 8 mars 1983, devant l’association nationale des évangéliques, un discours la désignant comme « l’Empire du Mal », la réactivation de la confrontation idéologique allant de pair avec une relance du rapport de force qui contribua à épuiser son adversaire et à précipiter la fin de la Guerre froide. Trump fait l’inverse : il légitime Poutine et lui remet des cartes en main.

En proposant à la Russie des négociations directes, il lui redonne un statut de puissance alors qu’elle ne pouvait sans doute pas gagner dans sa confrontation avec l’Ukraine[1]. Inscrit dans une tradition isolationniste et protectrice américaine, Trump sait trouver une langue commune avec Poutine autour des affres d’une mondialisation honnie. Les États-Unis sont parvenus en moins de trois semaines à trahir, selon des plans annoncés, tous leurs engagements internationaux vis-à-vis de l’Ukraine, ne souhaitant plus garantir sa souveraineté bafouée au détriment des règles de droit international. Comment expliquer ce brutal revirement américain au mépris de toute l’architecture des relations internationales échafaudées après Yalta en 1945 ?

Miroirs inversés

Les États-Unis et la Russie fonctionnent aujourd’hui en miroirs mais dans des miroirs inversés des empires de la Guerre froide. Le rôle de leurs présidents dans cette étrange configuration est central. Trump trahit aujourd’hui Reagan décidé alors à en finir avec l’Empire soviétique tandis que Poutine prend lui sa revanche sur Gorbatchev, soucieux de reconstituer l’Empire russe.

Si l’univers de Poutine, l’ancien des services secrets, diffère du monde de Trump, le promoteur immobilier devenu star de la téléréalité, ils ont des choses en commun. Chez Donald Trump comme chez Vladimir Poutine domine l’obsession de la force brutale. Tous deux sont d’origine populaire – la fortune des Trump est récente et ont un compte à régler avec les élites. L’un est issu des faubourgs du Queens à New York revendiquant un père au Ku Klux Klan mouvement suprématiste blanc extrémiste protestant, l’autre issu de la banlieue ouvrière de Léningrad dont le père était un cheminot communiste. Tous deux se fondent sur des fantasmes de grandeurs et de profonds ressentiments pour combattre leurs élites respectives, et sont arrivés à la force du poignet pour conquérir le pouvoir.

Trump à la lumière de son ascension fulgurante incarne près de 77 millions d’électeurs populaires tous fascinés par son ascension et le symbole de l’argent, sous-estimant ses frasques sexuelles comme ses relations avec une prostituée du porno pour lesquelles il fut récemment condamné. Ses liens avec une oligarchie financière puissante sont de plus en plus entrecroisés avec des allégeances multiples à l’extrême-droite – Elon Musk, homme le plus riche du monde, libertarien revendiqué et néonazi en émergence, en est l’incarnation.

Poutine, réélu avec un fort consensus en 2024 sur des élections truquées et sans opposants véritables, incarne un pays autoritaire et nationaliste, mais aussi comme Trump un pouvoir sans foi et ni loi, soutenu par des oligarques kleptocrates et une nomenklatura réactionnaire[2].

D’autres convergences significatives existent entre les deux présidents, notamment un usage instrumental du conservatisme le plus rétrograde, mais aussi une pratique politique de la rupture et du franchissement des limites, notamment quand il s’agit de conquérir ou conserver le pouvoir. Cette pratique de voyou donne le ton de leur pratique des relations internationales.

Rogue states

Le rapport de force et le mépris des règles et des accords passés domine de part et d’autres. Aujourd’hui la main tendue de Trump à Poutine se double d’un nouveau « deal » de reconstruction possible de l’Ukraine à l’instar de ce qu’aurait été le plan Marshall dans l’après-guerre. Mais Trump se targuant de gérer les Etats-Unis comme une entreprise, est toujours en quête de nouveaux investissements. Le président ukrainien est acculé à devoir négocier pour obtenir une aide américaine durable, doit accepter désormais que l’Ukraine puisse s’ouvrir plus encore aux investissements américains pour l’exploitation de ses ressources minières. Les Etats-Unis exigent de surcroît pour finaliser ce marché une surenchère de 500 milliards de dollars à un pays exsangue (alors que le Trésor américain avait déboursé seulement 100 milliards sous forme de subventions d’ailleurs non remboursables pour financer la seule industrie militaire américaine).

Mais pour Trump, capable de raisonner sur le court terme afin d’y développer des affaires, la potentialité du marché russe reste désormais un atout bien plus essentiel que l’Ukraine. Comme le notait l’historien Timothy Snyder : « S’attaquer à la victime ne mettra pas fin à une guerre d’agression. Etant donné que l’équipe de Trump n’a rien fait pour contraindre la Russie à mettre fin à la guerre, il est légitime de conclure que toute cette idée de recherche de la paix n’était qu’un prétexte pour renouer les relations avec la Russie. »

Au-delà de ces discours, se profilent de nouvelles alliances politico-militaires depuis la récente résolution du 24 février dernier, votée aux Nations Unies pour imposer une Pax Americana forcée dans un contexte de guerre épouvantable aux portes de l’Europe. Sans référence à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la nouvelle résolution américaine demande la fin des hostilités, alignant le vote américain sur celui de la Russie, de l’Iran, de la Corée du Nord et de quelques pays africains passés sous sa coupe (la Chine s’abstenant)[3].

Le nouveau président américain, à l’instar de Poutine s’inspirant de mêmes modèles illibéraux, sont tous deux fascinés par l’autoritarisme. Malgré certaines différences idéologiques, deux présidents voyous parlent d’une même voix, l’Américain condamné avant son investiture dans son propre pays, le Russe doublé d’un tueur et recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerres. Tous deux des menteurs patentés, sachant pourtant vanter leur amitié commune avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-un, dont les hommes sont engagés depuis 2024 sur le front russe[4]. Une même volonté impériale prévaut dans un partage fantasmatique du monde, le Canada, Groenland, Panama et Golf du Mexique d’un côté, l’Ukraine, le Caucase de l’autre[5]

Trump et Poutine symbolisent à l’échelle planétaire une nouvelle internationale de la haine, mais leurs convergences montrent néanmoins les limites d’une alliance qui se fait principalement sur des enjeux négatifs. Les intérêts communs ne sont pas illimités, les appétits peuvent se heurter, et surtout les représentations qui façonnent ces appétits ne sont pas les mêmes, y compris et surtout lorsqu'elles prétendent parler le même langage, celui de la haine de la mondialisatiopn et du conservatisme. Au-delà du jeu de miroir entre les deux présidents, l’histoire de ces sociétés et de leurs institutions respectives divergent profondément.

[1] Cf. Hans Petter Midttun, attaché naval norvégien à Kiev : « Je suis persuadé que la Russie perdra cette guerre », Desk Russie, 27 janvier 2025.

[2] Cf. Kristian Feigelson « Aux origines de Poutine », Telos , 26 avril 2023.

[4] Voir ainsi l’entretien de Mikhail Khodorkovski, opposant russe condamné à dix ans de camp et réfugié à Londres : « Tous deux des gangsters… Les Européens n’ont pas vraiment compris Poutine et Trump. », Le Monde 6 mars 2025. Et Jonathan Freedland, “Donald Trump is turning America into a Mafia State”, The Guardian, March 7th, 2025.

[5] Voir Michel Eltchaninoff, Et Poutine créa Trump, Episode 86, Podcast l’Ukraine face à la guerre.