Macron: un programme social-libéral edit
La réaction immédiate a été double : le Macron disruptif a laissé la place à un Macron gestionnaire des chantiers déjà ouverts, un Macron qui de plus aurait mis la barre à droite toute. Et pourtant il faut se défier des premières réactions. À bien prendre en considération les différentes propositions sur la retraite, l’école, la fiscalité, le RSA, ou l’énergie, le potentiel de rupture et donc de conflit est considérable. De plus l’idée d’un tournant à droite relève au moins de deux lectures différentes : une lecture nominaliste, les positions défendues relèvent de l’idéologie et des programmes de droite, une lecture électoraliste, les thèmes choisis pour l’entrée en campagne ont le mérite d’attirer un électorat de droite et donc de tarir le vote Pecresse.
Passons en revue les principales propositions du candidat Macron.
Là où la gauche pose le problème des inégalités en termes de redistribution fiscale et manifeste une sensibilité extrême aux inégalités transmises par l’héritage, Macron déplace le problème et affiche le refus de ce qu’il nomme la société d’assignation pour avancer ses solutions sur l’école et la mobilité sociale. La réponse à la question des inégalités est d’abord et avant tout dans la formation, la qualification, la carrière ouverte aux talents. Le vrai scandale à ses yeux n’est pas tant que quelques privilégiés astucieux échappent aux pleins effets de la taxation des grosses successions que le fait que l’école de la république aggrave les inégalités sociales initiales et soit encore une machine de reproduction. D’où ses propositions pour un nouveau contrat éducatif fondé sur l’autonomie des établissements, l’engagement des équipes pédagogiques, l’assouplissement du statut de la fonction publique pour développer la polyvalence et l’intéressement des enseignants.
De même, là où la gauche et les populistes veulent à tout prix préserver la retraite à 62 ans voire revenir à la retraite à 60 ans au mépris des déséquilibres démographiques et à un alourdissement de la charge de la dette, Emmanuel Macron accepte de se renier en engageant une réforme paramétrique, et non systémique, calibrée pour que le système soit équilibré sur la durée. Ce faisant le candidat refuse la logique du transfert sur les jeunes générations de la dette retraites en plus de la dette climatique et de la dette financière née des politiques passées et du quoi qu’il en coûte.
Enfin, en renforçant la conditionnalité au RSA à travers une contrepartie sous forme d’heures d’engagement données à la collectivité en échange de l’allocation, Macron recherche un équilibre entre droits et devoirs et une meilleure insertion par le travail là où la gauche ne voit que défiance à l’égard des assistés et aggravation de la situation des pauvres. Accompagner les publics en difficulté en faisant la part de ceux qui ont des problèmes de santé, d’adaptation ou de formation, bref donner un sens à l’insertion et à une politique active de retour à l’emploi ne devrait choquer personne, et pourtant là aussi la gauche s’est déchaînée contre un projet qui aurait pour finalité ultime la baisse du coût du travail !
L’esquisse d’une politique sociale soutenable à long terme, recherchant un équilibre entre les droits et les devoirs, empruntant aux meilleures pratiques des pays socialement avancés comme les social-démocraties du nord de l’Europe passerait hors de France pour de simples adaptations à un nouvel équilibre démographique, pour des réponses à la question du chômage et pour des tentatives de lutte contre les inégalités ; d’autant qu’à chaque fois des mesures protégeant les plus faibles sont prises (maintien des départs anticipés à la retraite, élévation du minimum vieillesse , RSA distribué à la source). Comment expliquer cette levée de boucliers et la qualification unanime dans les médias de ces politiques comme de droite ?
Avant de trancher cette question continuons d’explorer ce programme.
En matière d’éducation comme de santé, Macron ouvre la voie à la décentralisation, à l’autonomie des établissements et à des formes de rémunération au mérite. La reconnaissance de communautés pédagogiques et de territoires de santé résume bien le refus de l’uniformité bureaucratique et l’esquisse d’autonomie qui est recherchée pour combattre les inefficacités constatées et les échecs du système scolaire abondamment documentés par les enquêtes PISA. La logique notamment en matière éducative est de faire de chaque école une entité qui s’organise autour d’un projet pour la réussite des enfants qui lui sont confiés en mobilisant des moyens modulés selon la difficulté, des enseignants disponibles et réactifs et non emprisonnés dans une discipline et un emploi du temps rigide. La réaction immédiate quasi pavlovienne des syndicats a été de dénoncer les atteintes au statut, les concessions à l’idéologie libérale, l’explosion du temps de travail.
En matière de gouvernance, le programme Macron insiste sur la décentralisation, la mobilisation des élus locaux, la coordination des efforts sur une base territoriale sans rien renier du rôle irremplaçable de l’État en matière de gestion des situations d’exception, en matière de planification énergétique voire de stratégie de réindustrialisation. Sa défense de l’économie de l’offre est intéressante en ce qu’elle met en avant non l’impératif de compétitivité mais le fait qu’ elle est le gérant ultime du modèle social.
Un État toujours actif car ultime recours et architecte de la grande transformation, mais qui corrige ses dérives centralisatrices et bureaucratiques devrait mériter considération, mais tel n’est pas le cas.
Enfin le recours aux Conventions citoyennes notamment sur la fin de vie ajoute une touche de renouveau démocratique à l’édifice programmatique.
L’accueil uniformément négatif relève au total de trois ordres d’explication.
La première tient aux provocations d’Emmanuel Macron qui colorent négativement son programme. Nul ne l’obligeait à mettre en valeur le relèvement du seuil d’exonération des petites successions. Cette mesure est un marqueur de droite qui a pu biaiser la lecture faite de son programme. Il en est de même de la conditionnalité du RSA… qui du reste est déjà inscrite dans la loi.
La deuxième tient au très large consensus national autour d’un modèle de protection sociale généreux, qui suscite des réactions hostiles dès lors que des adaptations sont envisagées. L’irréversibilité des avantages acquis n’est pas qu’une valeur de gauche. La réforme des retraites s’inscrit en droite ligne de la réforme Touraine et ne serait pas remise en cause par la gauche si cette dernière revenait au pouvoir.
Enfin la réforme esquissée de la réforme de l’Éducation obéit au modèle Rocard Revalorisation contre Rénovation ; elle suscite les réactions hostiles des syndicats qui se situent clairement dans le camp conservateur eu égard aux problèmes auxquels le système éducatif doit faire face.
Au total le débat suscité par le programme Macron nous apprend plus de choses sur l’idéologie nationale que sur les lignes de clivage de la prochaine élection. L’étonnante convergence sur la réindustrialisation, la consolidation de l’État Providence, l’assistance aux plus démunis face à l’inflation, à la hausse du prix de l’énergie, au chômage partiel explique qu’il n’y ait guère de débat sur les sujets économiques et sociaux.
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