Fiscalité du capital: une singularité française confirmée edit
Année après année l’interrogation persiste et la réponse ne varie guère : oui, depuis le tournant de l’économie de l’offre, la France fait des efforts pour rapprocher sa fiscalité du capital de celle de ses principaux concurrents et partenaires. Mais non, la différence subsiste et avec elle les questionnements sur l’attractivité française et les handicaps structurels à la croissance et à l’emploi.
Le dernier rapport de France Stratégie sur la fiscalité du capital, comme les précédents, obéit à une même structure et se déploie en trois temps. Un, la France se rapproche des niveaux de taxation du capital de ses partenaires. En cela elle agit. Deux, cette politique a déjà des effets en termes de moindre délocalisation du capital. Trois, il reste encore difficile d’établir un effet positif de cette politique en termes de croissance et d’emploi.
Retour sur la réforme de 2018
La réforme de la taxation du capital adoptée en 2018 comporte essentiellement trois volets. Tout d’abord, la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ensuite, le retour à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% (12,8% au titre de l’impôt sur le revenu et 17,8% au titre des prélèvements sociaux) pour les revenus de l’épargne, qui avaient été barémisés en 2013, au début de la présidence de François Hollande. Enfin, la baisse progressive du taux statutaire de l’impôt sur les sociétés (IS), passée de de 34,4% à 25% en 2022.
Un premier constat est qu’après cette réforme ambitieuse, la France demeure l’un des pays européens où la fiscalité du capital est la plus lourde. Elle représentait au total 10,4% du PIB en 2021, seuls le Luxembourg et la Belgique étant au-dessus (et de fort peu pour la Belgique qui est à 10,6%) parmi les 27 pays de l’Union Européenne (UE) plus le Royaume-Uni. À 8,5%, la moyenne des 27 pays de l’UE est nettement plus faible.
Un second constat est que cette réforme aurait nettement inversé un mouvement d’exode fiscal très marqué avant la réforme. Ainsi, entre 2011 et 2016, le nombre annuel moyen de départs de contribuables à l’ISF était de 950 contre 370 retours. De 2018 à 2021, la dynamique s’est inversée avec en moyenne annuelle 260 départs contre 380 retours. À un solde négatif d’environ 580 départs nets de contribuables à l’ISF avant la réforme s’est substitué un solde positif d’environ 120 retours net de contribuables à l’IFI après la réforme. Et ce chiffrage est un minorant car il ignore les retours après la réforme de contribuables non assujettis à l’IFI mais qui l’auraient été à l’ISF avant la réforme…
Un troisième constat est que cette réforme aurait dynamisé les créations d’entreprises et donc l’activité économique, déjà améliorée par les retours nets qui viennent d’être évoqués. Le rapport montre ainsi que ces créations ont progressé plus fortement dans les secteurs d’activité ayant le plus bénéficié de la réforme de la fiscalité du capital. L’effet favorable sur les retours nets serait davantage lié à la transformation de l’ISF en IFI et à l’instauration du PFU plutôt qu’à la baisse du taux de l’IS. L’effet favorable sur les créations d’entreprises serait davantage lié à la transformation de l’ISF en IFI et à la baisse de l’IS, plutôt qu’à l’instauration du PFU.
La transformation de l’ISF en IFI
Parmi les 27 pays de l’UE, seule une minorité de six pays ont instauré un impôt sur le patrimoine. Il s’agit de l’Espagne, de la Finlande, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas et de la Suède. Et dans certains de ces pays, l’impôt sur la fortune remplace d’autres formes d’imposition. Ainsi, aux Pays-Bas, il remplace en partie l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers et celui sur les plus-values mobilières qui existent dans d’autres pays comme la France.
Comme l’imposition des revenus du patrimoine, cet impôt sur le patrimoine lui-même peut susciter une fuite de certains contribuables vers d’autres destinations fiscalement plus clémentes. Une telle mobilité de l’assiette fiscale réduit parfois fortement le rendement de l’impôt sur le capital, et elle peut même aller jusqu’à l’annuler voire le rendre négatif. L’analyse et la revue de littérature proposées par Henrik Kleven, Camille Landais, Mathilde Muñoz et Stefanie Stantcheva dans un article publié en 2020 par The Journal of Economic Perspectives montrent que cette mobilité peut être très forte pour certaines catégories. Des analyses approfondies, par exemple celles proposées sur l’Espagne par José María Durán-Cabré, Alejandro Esteller-Moré et Mariona Mas-Montserrat en 2019 ou David R. Agrawal, Dirk Foremny et Clara Martínez-Toledano en 2020, et sur la Suisse par Marius Brülhart, Jonathan Gruber, Matthias Krapf et Kurt Schmidheiny en 2022, indiquent que cette mobilité peut même aboutir à un rendement négatif d’une augmentation du taux d’imposition sur le patrimoine relativement aux pratiques d’autres régions du même pays ou d’autres pays.
Hors prise en compte de cette mobilité, le rapport de France Stratégie évalue à un peu plus de 4 milliards d’euros en 2022 les moindres recettes en 2022 de l’imposition du patrimoine liées à la transformation de l’ISF en IFI. Mais, si l’on prend en compte cette mobilité, les moindres recettes sont beaucoup moins significatives et on ne peut exclure que, tous les autres prélèvements pris en compte (les impatriés payent par exemple les taxes indirectes comme la TVA sur leur consommation), la transformation de l’ISF en IFI se traduise finalement par une hausse des recettes fiscales nettes.
L’instauration du PFU
L’instauration du PFU en 2018, à la place de la barémisation des revenus du capital mise en place en 2013, rapproche la France des pratiques des autres pays de l’UE. Le rapport de France Stratégie indique ainsi qu’un taux de prélèvements forfaitaire est pratiqué dans 80% des pays de l’UE concernant les dividendes et intérêts, et dans 60% de ces mêmes pays concernant les plus-values mobilières. Le taux désormais pratiqué en France est de 30%, auquel il faut ajouter une majoration au titre de la contribution exceptionnelle pour les hauts revenus (CEHR), de 4% pour les plus hauts revenus. Mise en place en 2012 par le vote de la loi de finances de 2011 (sous la présidence de Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon) la CERH devait être transitoire mais n’a pas encore été supprimée. Le taux du PFU (CEHR compris) est l’un des plus élevés de l’UE, et seuls deux pays connaissent un taux supérieur : l’Irlande et le Danemark. Hors UE, le Royaume-Uni pratique aussi un taux forfaitaire supérieur à celui de la France. Les pays anciennement communistes du centre et de l’Est de l’Europe sont ceux qui pratiquent les taux les plus bas.
La distribution de dividendes a augmenté fortement après l’instauration du PFU, évolution symétrique à la baisse observée en 2013 au moment de la barémisation des revenus du capital. Du fait de cette augmentation des dividendes versés, le rendement de la fiscalité des revenus du capital n’aurait pas diminué, selon le rapport de France stratégie. Comme évoqué plus haut, ce même rapport de France stratégie attribue en partie à l’instauration du PFU la forte augmentation du retours nets de contribuables fortunés. L’effet de cette réforme est ainsi possiblement positif tant pour l’activité économique que pour les recettes fiscales.
La baisse du taux d’IS
Le taux statutaire d’IS abaissé progressivement à 25% en France reste l’un des plus élevés en Europe. En 2022, l’écart apparaît important avec la moyenne de 21,2% sur l’ensemble des 27 pays de l’UE. Parmi les 26 autres pays de l’UE, il n’est supérieur à ce niveau français de 25% que dans quatre pays : Malte, Portugal, Allemagne et Italie. Il est également à ce niveau de 25% aux Pays-Bas et inférieur dans les autres pays de l’UE. L’écart est parfois important car ce taux est de 15% ou moins dans cinq pays (Lituanie, Irlande, Chypre, Hongrie et Bulgarie) et il est compris entre 15% et 20% dans huit autres pays (Estonie, Lettonie, Finlande, République Tchèque, Pologne, Slovénie, Croatie et Roumanie). Il apparaît ainsi que les anciens pays communistes d’Europe centrale et orientale ont tous, à l’exception de la Slovaquie, opté pour des bas taux d’IS afin d’attirer les investissements. Mais à ces pays se joignent la Finlande et l’Irlande qui pratiquent ainsi une concurrence fiscale, moins justifiée venant de pays maintenant avancés. L’accord conclu en 2022 en Europe, à l’initiative de l’OCDE, d’une taxation minimale à 15% des bénéfices dès 2024, sur les bénéfices réalisés en 2023, devrait réduire les situations les plus extrêmes de concurrence fiscale. Il faut espérer que les règles de calcul d’assiette fiscale de cet impôt et les pratiques de tax rulings (accords directs entre une administration fiscale et des multinationales sur des dispositifs fiscaux dérogatoires) ne permettront pas à certains pays de contourner cette nouvelle disposition.
L’effet du changement du taux d’IS est complexe, le recul demeurant insuffisant concernant une baisse du taux progressive sur plusieurs années et aboutie en 2022 seulement. Mais, comme évoqué plus haut, le rapport de France stratégie attribue à cette baisse, avec d’autres facteurs, un effet favorable sur les créations d’entreprises. Soulignons que la baisse du taux statutaire d’IS ne fait que rapprocher la France de la moyenne européenne, le taux actuel demeurant parmi les plus élevés.
Il ressort donc du rapport de France stratégie que la réforme de la fiscalité du capital a eu un effet limité mais positif sur l’activité économique et même sur les recettes fiscales. Les experts de France stratégie, qui étaient partis à la recherche d’un effet macroéconomique sur la croissance et l’emploi, ne parviennent pas à l’établir, sans doute parce que ces réformes sont récentes et leurs effets progressifs, mais aussi car elles sont somme toute modestes et n’ont de ce fait, en équilibre général, qu’une portée limitée. Pour évaluer cette portée, les experts de France Stratégie essaient donc de raffiner leurs instruments d’analyse et envisagent pour les prochains rapports de nouveaux développements. Il serait intéressant par exemple de mesurer l’impact des réformes sur le taux d’investissement des PME. Une situation bien connue était le cas d’une PME familiale où le dirigeant était amené à remonter plus de dividendes et incidemment à moins investir, pour permettre à ses frères et sœurs d’acquitter l’ISF dont ils étaient redevables en tant qu’actionnaires de la PME. Une telle situation, aisée à mesurer sur un compte d’exploitation avant et après réforme, a forcément des effets en termes de capacité de la PME à innover, à exporter, à embaucher, à se développer, et à dégager des bénéfices. Comment passer d’une évaluation microéconomique à une évaluation macroéconomique ? C’est l’un des défis, parmi d’autres, de l’évaluation de la réforme de 2018. Mais aussi passionnants que soient ces défis pour les économistes, le jeu des comparaisons entre la France et les autres pays européens suffit largement à établir la pertinence de la réforme. On rappellera ici les avertissements dramatiques de certains de nos confrères, qui dénonçaient un peu trop vite une « bombe à retardement » pour les finances publiques[1].
La France se trouve en fait piégée entre la nécessité de réduire la concurrence fiscale avec ses voisins, initialement très défavorable, et la justification auprès de l’opinion publique de la baisse des impôts des plus riches. D’autant que notre pays est l’un de ceux où la taxation du capital mais aussi du travail, de la consommation et de la production demeure la plus élevée en Europe. Un tel positionnement ne peut qu’être préjudiciable à l’offre de travail, à l’investissement et à l’innovation.
Pour ne pas alourdir un déficit et une dette publics toujours trop forts, une baisse de la fiscalité appelle celle des dépenses publiques. Elle peut aussi passer par une augmentation du PIB par habitant, la France connaissant en ce domaine des niveaux assez bas comparée à des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques et scandinaves, en particulier du fait d’un bas taux d’emploi des jeunes, des seniors et des peu qualifiés. La poursuite des réformes visant à augmenter les taux d’emplois de ces trois catégories de la population pourra apporter des sources de financement à la baisse de la fiscalité, dont celle du capital. Et cette baisse pourra elle-même dynamiser la croissance. Un tel cercle vertueux doit être recherché.
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[1] Voir par exemple Gabriel Zucman, « La “flat tax” est une bombe à retardement pour les finances publiques », Le Monde, 25 octobre 2017.