Taxer les robots? Voyons d’abord ce que disent les données edit
Une curieuse coalition semble se former autour de la taxation des robots. Benoît Hamon l’a évoquée récemment. Interviewé par Quartz, Bill Gates avance qu’une telle taxe pourrait contribuer au financement d’emplois d’intérêt général. Le débat a également été porté au Parlement européen, avec la proposition de faire payer aux entreprises s’équipant de robots la formation des travailleurs qui perdent leur emploi. La proposition a été rejetée. Non sans raison : car si elle peut sembler séduisante l’idée de taxer les robots est à la fois contestable dans son principe et probablement impossible à mettre en place en l’état.
Cette idée est d’abord contestable sur son principe. Il ne s’agit certes pas de méconnaître les destructions d’emplois industriels associés à l’automatisation des activités. Elles ont eu lieu, elles ont lieu, elles auront lieu, et la reconversion des centaines de milliers de salariés concernés (à l’échelle française) est une question majeure, à la fois pour ses conséquences sociales et, plus prosaïquement, pour l'érosion de la base fiscale qui permet de financer nos services publics et notre système social.
Mais ralentir le progrès n’est pas la bonne réponse à ces graves questions. Ce qu’il faut, c’est un système social qui accompagne et facilite les transitions plutôt que le statu quo, ce qui nécessite un système de formation et d’orientation performant – le tout financé par les impôts les moins nocifs possibles.
Pour cela, rien ne sert de réinventer la fiscalité. Les principales assiettes d’une fiscalité moderne sont les profits, la consommation et la pollution. Pour limiter l’effet du remplacement d’un salarié par un robot, il faut donc commencer par réduire au maximum les prélèvements qui pèsent sur les salaires sans représenter une forme d’assurance (maladie, allocations familiales…) et préférer des assiettes plus adaptées.
En revanche pourquoi décider de surtaxer les profits tirés de l’utilisation d’un robot, plus que ceux liés à l’exploitation d’une rente immobilière, d’un savoir-faire, d’un carnet d’adresses ou d’un coup de chance ?
Il faudrait enfin définir un robot d'une façon non discriminatoire par rapport à l’objet visé, c’est-à-dire en traitant pareillement tout ce qui a le même effet. Or un logiciel par exemple est un robot logique. Le développement du traitement de texte a tué des emplois de secrétaire. Le système d’exploitation Windows, en rendant le développement d’applications plus simple, a tué des emplois de développeur. Faut-il pour autant taxer les entreprises qui s’en équipent ?
La dynamique de destruction du vaste mouvement schumpetérien dans lequel sont engagés les économies développées et certains grands émergents est bien réelle. Mais la dynamique de création – d’objets, de services, d’activités et, oui, d’emplois – est tout aussi vigoureuse. Plusieurs pays montrent qu’il n’y a pas de fatalité à ce que la première efface la seconde. On ne peut pas ignorer le fait qu’il existe des perdants. Mais s'il est bienvenu de s'intéresser à eux, il serait désinvolte, pour ne pas dire irresponsable, de ne proposer que des solutions irréalistes qui conduiront à moins de compétitivité, moins d’emploi et moins de richesse.
Car l’idée de la taxe sur les robots est probablement impossible à mettre en œuvre sans dommage. En économie ouverte et dans un contexte marqué par une concurrence mondiale, le pays qui choisirait de taxer les robots ou les algorithmes se priverait d’un élément de compétitivité indispensable.
Par définition, les emplois « à haute valeur ajoutée » sont ceux dans lesquels le salarié dispose de quelque chose de plus : un savoir-faire ou une machine. Equipé d'un robot ou d'une machine performante, un ouvrier pourra produire plus et compenser les écarts de coût du travail. Réduire cet investissement, c'est ne lui laisser que sa productivité manuelle face à des centaines de millions de personnes dans le monde coûtant dix à cent fois moins cher. Taxer l'investissement dans l’automatisation revient à décourager l’investissement tout court, ou à le rediriger. Les entreprises présentes investiront moins, et celles qui envisageaient de se développer en France choisiront des cieux plus cléments ailleurs en Europe.
Or la France n’est pas en avance dans ce domaine : si elle dispose d’une productivité horaire forte, c’est avant tout parce qu’elle évince du marché du travail les salariés peu qualifiés. En revanche, notre pays n’est pas l’un des plus avancés en matière de robotisation : la Corée du Sud, les Etats-Unis ou plus près de nous l’Allemagne dont le parc de robots industriels est largement supérieur au nôtre ont plus d’emploi industriel que nous.
Figure 1. Nombre de robots industriels multitâches par 10 000 employés, dans l’industrie (Source : International Federation of Robotics)
Leur équipement robotique contribue à offrir à ces pays une base industrielle dynamique. Pour la France, la question n’est donc pas d’avoir moins de robots, mais d’en avoir plus, et de sortir enfin du ventre mou des pays développés insuffisamment équipés.
La Chine s’équipe elle aussi à marche forcée. D’une façon générale, les pays qui utilisent le plus de robots sont ceux qui ont la croissance la plus élevée. Et cette corrélation s'accélère : elle est deux fois plus forte de 2005 à 2015 qu'elle ne l'était de 1995 à 2005. Taxer les robots aura pour seul effet d’amplifier cet écart, rendant les emplois industriels plus difficiles à développer chez nous qu’ailleurs.
Figures 2 et 3. Corrélation entre la croissance et le nombre de robots/emploi industriel (Source : Observatoire du long terme)
Finissons en raisonnant par l’absurde : s’il faut taxer tout ce qui fait disparaître des emplois, et bien allons-y ! Et commençons par l’intelligence, la montée en compétences (un salarié plus habile est plus productif), la formation initiale et continue, le lean management... sans oublier les consommateurs qui changent de goûts sans en mesurer les conséquences : moins d'acheteurs de pins, de pogs ou de yoyos ce sont autant d’emplois en moins. Taxons, enfin, les auteurs de Telos ainsi que leurs lecteurs. En offrant gratuitement leurs analyses, les premiers détruisent des emplois d’économistes avec la complicité coupable des seconds.
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