Retraites: et maintenant? edit
La loi de réforme des retraites est passée. C’est une bonne chose, presque indépendamment du détail de son contenu, et ce pour trois raisons. Un gouvernement et un président légitimes ont engagé leur capital politique sur un projet contesté et ils sont parvenus à leurs fins au terme d’un processus légal. La démocratie représentative a fonctionné malgré les tentatives de sabotage au sein des assemblées et une majorité a pu être construite par un gouvernement minoritaire grâce au 49.3, un dispositif constitutionnel voulu par le général de Gaulle. La tentative des syndicats et notamment de la CFDT de s’ériger en groupe veto a échoué, la coalition syndicale pas plus que la rue n’a de pouvoir de colégislation et la démocratie sociale ne se mesure pas à l’aune du blocage de l’économie. Une réforme débattue depuis cinq ans ne peut être assimilée au bon plaisir de l’exécutif.
Et pourtant le sentiment largement partagé est celui d’un passage en force, signe d’une forme de brutalisation de la vie politique et d’un déni de démocratie sociale. Un choix politique assumé adopté conformément à notre Constitution passe auprès du public pour une manifestation illégitime d’un régime autoritaire.
Contre une opinion publique majoritairement hostile, les règles du parlementarisme rationalisé ont été employées.
Contre un Parlement capturé par les oppositions extrêmes et les atermoiements des LR, les ressources de la procédure parlementaire et de la Constitution ont été mobilisées.
Contre les obligations du dialogue social l’exécutif a joué la stratégie des concertations formelles et n’a pas tenté le grand compromis social sur cette question
Le texte adopté avec l’échec des motions de censure, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une victoire à la Pyrrhus.
Tout ça pour ça
À en croire les propos du Haut-Commissaire au Plan, La réforme a été basée sur une sous-estimation du déficit et des hypothèses optimistes de chômage et de productivité. La querelle sur les 30 milliards de concours publics aux pensions des fonctionnaires ainsi que les hypothèses de plein emploi et de forte productivité à l’horizon de la réforme entachent en effet la sincérité des projections.
Cette réforme, de plus, est marquée du sceau de la redistribution alors que Macron voulait remettre la France au travail et stabiliser à terme la part des retraites dans le PIB afin de dégager des marges de manœuvre pour des priorités criantes comme la santé et l’éducation. Il a dû de fait peindre cette réforme aux couleurs de la redistribution en corrigeant les effets inégalitaires du régime existant qu’il présentait dans le même mouvement comme le plus généreux d’Europe. Si bien que la réforme adoptée sera de portée limitée puisque c’est un tiers de l’enveloppe prévue par les mesures d’économie qui est réaffectée en divers dispositifs sociaux.
Comme si les mesures prises étaient encore trop audacieuses, le passage aux 64 ans se fera en deux étapes avec une clause de rendez-vous prévue en 2027. Il faudra alors sans doute remettre l’ouvrage sur le métier.
Enfin, même si ce n’était pas son objectif premier, cette réforme devait témoigner pour nos partenaires européens ainsi qu’à nos créanciers, dans un contexte de hausse des taux, de notre volonté de nous attaquer à la maîtrise de nos finances publiques en renonçant aux facilités du financement à crédit de nos dépenses courantes de protection sociale. Le fait que la copie soit à revoir n’est pas de bon augure.
Une régression collective
Alors que la réforme systémique abandonnée en 2019 ouvrait des perspectives sur un régime universel lisible, pérenne et soutenable, avec un nouvel équilibre répartition-capitalisation et une maîtrise individuelle de l’âge de départ à la retraite, on est retombé dans une réforme paramétrique et même mono-paramétrique puisque seules les variables de durée de cotisation ont été mobilisées, assorties de surcroît d’une mesure d’âge.
Les variations successives des discours des autorités, les querelles sans fin sur la bonne lecture du rapport du COR et pour finir la publication d’une étude d’impact qui venait nourrir directement les critiques sur les inéquités de la réforme n’ont pas contribué à éclairer le débat et encore moins à l’appropriation de la réforme par les publics intéressés malgré de réelles avances pour les carrières longues, les petites retraites et des publics spécifiques comme les handicapés, les apprentis ou les mères de famille.
Enfin une réforme négociée avec les LR, conforme au programme des LR, mais qui a buté sur les divisions internes aux LR, a rendu nécessaire une ingénierie parlementaire couteuse et écarté la recomposition politique attendue
L’échec de la méthode
La méthode choisie et une opposition syndicale qui ne se sera jamais démentie révèlent un autre échec, celui de la démocratie sociale. Pour Emmanuel Macron les syndicats, même unis, constituent des lobbys qui ne doivent pas entraver le cheminement démocratique de l’élaboration de la Loi. Il s’inscrit ainsi en faux contre une tradition de large consultation des partenaires syndicaux et même contre l’esprit de la loi qui aurait dû le conduire à réserver un autre sort à la mobilisation syndicale. Ayant privilégié le compromis politique dans le cadre parlementaire, sans succès, il a pris le risque de laisser s’installer la querelle avec Berger et a fait reculer le débat social.
Au total on a assisté à la comédie française de l’impossible réforme sous le regard goguenard de nos partenaires européens.
En France, tout nouveau président entend lancer quelques grandes réformes pour marquer de son empreinte son règne. Dans le cas de Macron, ce furent les retraites, avec la réforme ambitieuse abandonnée en rase campagne en 2019, puis celle-ci, plus classique. La première visait à rompre avec les prédécesseurs, à frapper les publics par son audace de lancer des grands chantiers… mais dans les deux cas, et comme dans les réformes de 2003, 2010 et 2014, quand les obstacles surgissent commencent alors les concessions et très vite la réforme qui devait trouver son équilibre financier doit profiter à tout le monde. Les mouvements sociaux s’intensifiant et la rue devenant menaçante l’exécutif fort essaie de trouver des raccourcis pour atténuer la portée de la réforme voire pour la vider de tout ou partie de son contenu.
Le propre de la réforme actuelle est qu’elle nous aura fait régresser collectivement. N’évoquons même pas les LR qui déchirent un texte qu’ils ont appelé de leurs vœux des années durant.
Tenons-nous en au débat social et à l’opinion. Les syndicats n’ont cessé cde répéter qu’ils reconnaissaient l’existence d’un problème de déséquilibre démographique mais les solutions avancées comme l’alignement des salaires des hommes et des femmes ou l’élévation de l’activité des seniors pour générer plus de cotisations relèvent du vœu pieux ou pire du refus d’envisager la question des coûts salariaux dans une économie ouverte et intégrée au niveau européen.
L’opinion a été très majoritairement hostile à cette réforme et s’est montrée très favorable à la solution du référendum. Mais la aussi la régression est manifeste : en quoi un référendum qui rejettera les 64 ans règle-t-il si peu que ce soit le problème ? La seule vraie question qui n’est pas testée est de savoir si les Français, pour prix du maintien des 62 ans, sont prêts à une baisse de leurs pensions ou à une hausse des cotisations salariales pour assurer l’équilibre du système. Dernier avatar de ces faux débats, la confiscation des capitaux des riches, une taxation du capital ou des dividendes au delà de ce qui est fait comme si des besoins pérennes et des décaissements continus pouvait être réglés par une taxation des stocks de capital.
Mais au delà des formes caricaturales du débat public, deux faits saillants surgissent. Tout d’abord, l’arbitrage travail/loisir a changé radicalement. Les Français nous disent que pour préserver le temps libre des retraites, ils sont prêts à consentir à d’autres arbitrages sur les revenus.
Ensuite, même si les institutions permettent que la réforme des retraites passe, la violence des oppositions oblige les pouvoirs publics. Le premier devoir du Gouvernement est d’assurer la paix civile lorsque celle-ci est menacée. Les manifestations, les blocages, la paralysie de certaines activités obligent les gouvernants à écouter, amodier, infléchir et en tous cas à ne pas pratiquer la source oreille face aux demandes d’audience présidentielle répétées des syndicats.
Alors que faire ?
Tirer les enseignements de l’échec de l’approche retenue par le gouvernement conduit à transformer l’ordre des facteurs pour jeter les bases de la prochaine réforme.
1. Les Français tiennent plus au temps libre qu’à l’amélioration des conditions de liquidation des retraites. L’arbitrage temps libre/ travail devra être au cœur des prochaines négociations. Une forme simple pourrait consister en un accord préalable sur le partage des gains d’espérance de vie entre retraite et allongement de la durée d’activité, 70/30, 50/50, ou une autre formule. Un tel dispositif prévu par la Loi Fillon n’a pas été appliqué.
2. Les Français veulent maîtriser l’âge de leur départ à la retraite. Là aussi l’âge légal du départ à la retraite combiné avec le nombre de trimestres à valider pour avoir une retraite à taux plein constitue une tenaille que les Français veulent desserrer. Là aussi des aménagements peuvent être trouvés voire généralisés comme avec la retraite partielle.
3. Les Français ne supportent plus le verticalisme jupitérien et encore moins en matière sociale. La prochaine réforme bénéficiera de la clause de revoyure et des échéances politiques.
4. En même temps le gouvernement ne peut plus assurer le rôle de payeur en dernier ressort par le déficit et la dette. Rien ne justifie que des dépenses courantes de retraite soient financées par le déficit et la dette publique alors que des investissements urgents sont à mener ailleurs et alors que la situation des retraités est relativement favorable. Il convient donc de confier la pleine responsabilité de la gestion et de l’équilibre financier des régimes de retraites aux partenaires sociaux. Il se trouve que nous avons sous les yeux un système qui concilie ces exigences, c’est le régime Agirc-Arrco, un système par points, juste et lisible, fondé sur la gestion paritaire par les partenaires sociaux. L’ajustement annuel des paramètres du système, l’équilibre financier obligatoire, le service des retraites complémentaires sont assurés aujourd’hui par l’Agirc-Arrco et demain c’est l’ensemble du système des retraites qui devrait être confié à un organisme de ce type.
Autonomie et responsabilité de gestion, consolidation de l’arbitrage retraite/travail souplesse dans les modalités de départ à la retraite… voilà des enjeux pour une négociation et une réforme matures.
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