Les risques économiques et financiers des programmes NFP et RN edit
Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains vont décider du sort des Français et peut-être même de l’Union européenne, dans un contexte marqué par l’agression russe à l’est, la concurrence américaine à l’ouest, et la rivalité stratégique avec la Chine. Nous examinons ici des éléments clés des programmes des deux coalitions extrêmes, le Nouveau front populaire (NFP) et la coalition formée autour du Rassemblement national (RN). Autant le programme de législature du NFP est relativement précis sur les mesures et décisions économiques qui seraient prises en cas de victoire, autant la plateforme du RN est floue et sujette aux virevoltes de son leader de campagne, la plateforme de Marine Le Pen en 2022 restant le seul document précis sur lequel on peut s’appuyer.
Les grandes lignes des programmes du NFP et du RN
Ces programmes se caractérisent tous deux par de nombreuses mesures concernant le pouvoir d’achat, avec une intention très redistributive concernant celui du NFP. Ils aboutissent tous deux spontanément à moins de recettes fiscales et plus de dépenses, les mesures de financement proposées n’étant pas à la hauteur de ces changements. Le seul retour de la retraite à 60 ans, qui apparaît dans les deux programmes, aurait un coût annuel sur les finances publiques d’environ 50 à 120 milliards d’euros, selon ses modalités, un peu moins des deux tiers au titre d’un abaissement du PIB réduisant les recettes fiscales et sociales et un peu plus d’un tiers au titre d’une majoration des pensions versées. Le NFP avance que le retour à la retraite à 62 ans ne coûterait « que » 13 milliards par an, puisqu’elle n’aurait rapporté que ce montant, selon les évaluations officielles. Ce raisonnement est faux et relève d’une manipulation délibérée.
En effet, la réforme des retraites de 2023 rapporte peu car elle s’accompagne de multiples dispositions sociales, comme les dispositifs de carrière longue, la prise en compte de la pénibilité et l’instauration du minimum contributif pour augmenter les faibles retraites. On n’imagine pas le NFP revenir sur ces dispositions sociales, et c’est pourquoi le retour à 62 ans coûterait beaucoup plus que 13 milliards par an.
Le PIB par habitant de la France a décroché au début des années 2000 par rapport à celui de ses voisins et il est désormais très inférieur à celui d’autres pays comme l’Allemagne (de près de 15%) ou les Pays-Bas (25%). Le retour de la retraite à 60 ans creuserait ces écarts d’au moins cinq point de pourcentage. Comment financer la transition climatique, le désendettement public, les réformes structurelles dans de nombreux secteurs de l’intervention publique comme l’éducation et la santé ? Les deux programmes ignorent presque complètement ces problématiques et le financement des réformes proposées, qui concernent essentiellement le pouvoir d’achat, est au mieux envisagé, dans le programme du NFP, via une augmentation de l’impôt. Qu’importe que la France soit déjà, parmi les 38 pays de l’OCDE, celui où la fiscalité moyenne est la plus lourde. Les effets préjudiciables de la taxation sur l’activité économique sont ici superbement ignorés.
L’appauvrissement relatif de la France ne fait manifestement pas partie des préoccupations des deux programmes. Aucun ne propose des mesures visant à stimuler l’innovation, l’usage des nouvelles technologies, ou plus globalement la productivité ou la compétitivité. Renforcer la croissance pour augmenter les sources du pouvoir d’achat et donc les revenus à distribuer n’est pas une préoccupation de ces programmes. Ils demeurent ancrés dans la seule préoccupation des revenus distribués aux ménages, l’extension supposée de la demande liée à l’augmentation du revenu étant sans doute implicitement considérée comme LA source de croissance à considérer. L’offre et les conditions de sa dynamisation sont ignorées, et en cela ces deux programmes semblent datés de plusieurs décennies.
Aux nationalisations près, le programme du NFP apparaît d’ailleurs comme une copie conforme d’un programme qui aurait pu être élaboré par la Gauche dans la décennie 1970. Quant au programme du RN, chacune des propositions avancées cherche à l’évidence à répondre aux attentes d’une cible électorale précise, sans aucune logique d’ensemble : les seniors pour le retour de la retraite à 60 ans, le monde rural pour la baisse des taxes sur l’essence, les jeunes pour l’exonération d’impôt des moins de 30 ans…
La France pâtit d’un solde commercial et d’un solde courant structurellement négatifs, ce qui signifie que son offre compétitive est inférieure à la demande domestique et étrangère. Les propositions des deux programmes réduiraient encore cette offre, alors qu’il s’agirait de la rendre plus élevée et plus compétitive. Le raisonnement économique le plus élémentaire est ici ignoré.
Une dimension également presque absente des deux programmes est celle du climat. Dans le programme du RN, le rejet d’une « écologie punitive » aboutit à une absence totale, voire à une régression. La baisse des taxes sur les produits énergétiques dont l’essence, outre qu’elle devrait être validée au niveau européen, qu’elle n’est pas financée et dégraderait les finances publiques de plus de 20 milliards d’euros par an, augmenterait les émissions de gaz à effet de serre. Les efforts entrepris sur la durée pour réduire ces émissions seraient ainsi anéantis. Dans le programme du NFP, dont l’un des partis signataire se dit pourtant écologiste, on ne trouve en ce domaine que l’interdiction du glyphosate et des néonicotinoïdes, la rénovation thermique et l’arrêt des méga-bassines. On y cherchera en vain des propositions ambitieuses (par exemple une position claire sur le nucléaire) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On pourrait rire de cette démission si la question climatique et ses enjeux n’étaient pas si dramatiques…
Inversement, une dimension très présente dans les deux programmes est d’être opposé au libre-échange. La dénonciation des accords de libre-échange est à leur menu, sans nuance. Qu’importe qu’une telle dénonciation, outre qu’elle peut se heurter à des difficultés institutionnelles, aboutirait à augmenter les prix car si on importe des produits de l’étranger, c’est qu’à qualité comparable ils sont moins chers que des produits fabriqués en France. Il en résulterait donc une perte du pouvoir d’achat, mais le sous-jacent idéologique des deux programmes, très similaires, l’ignore : l’autonomie et une totale souveraineté permettrait de faire les bons choix qui enrichirait la France, pense-t-on aux deux extrêmes. Une littérature abondante nous montre pourtant qu’un libre échange maîtrisé est source d’enrichissement mutuel…
Quelques mesures spécifiques des programmes du NFP et du RN
Les sous-jacents des deux programmes apparaissent donc clairement : s’adresser à des cibles électorales particulières concernant le RN et s’ancrer résolument dans une culture traditionnelle de la gauche des années 1970 concernant le NFP. Nous illustrons cela via deux mesures pour chacun des deux programmes.
Concernant le RN, la nationalisation des autoroutes et la baisse de 15% des péages sont, comme la baisse des taxes sur l’essence, très parlantes pour un électorat rural utilisant fréquemment l’automobile. Les résultats électoraux des européennes montrent que ces clins d’œil appuyés sont, avec d’autres, très payants : le RN est arrivé en tête dans une très grande majorité des communes rurales. La maîtrise des finances publiques et les objectifs climatiques sont ici oubliés. Concernant les jeunes, on aurait naïvement pu espérer des mesures visant à faciliter l’insertion sur le marché du travail. Au lieu de cela, on trouve à nouveau une proposition s’adressant au porte-monnaie : l’exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans. Qu’importe l’absence de toute justification économique, les conséquences sur les finances publiques et les risques de non-constitutionnalité d’une telle disposition : ce qui compte ici est de s’adresser aux jeunes au sein desquels le vote RN s’est largement développé les dernières années.
Concernant le NFP, on retrouve le vieux marqueur de l’augmentation de l’impôt moyen et marginal. Le taux marginal d’imposition serait fortement augmenté par l’instauration d’une progressivité de la CSG, la sur-cotisation des hauts salaires, la multiplication jusqu’à 14 des tranches de l’IR, la restauration et l’amplification de l’ISF, l’impôt progressif sur l’héritage avec un taux de 100% au-delà d’un certain seuil… Rappelons que le taux marginal de prélèvement sur le salaire brut (ajoutant les cotisations sociales, l’IR et la CSG) est actuellement d’environ 2/3. Ce taux serait encore très nettement augmenté, ce qui inciterait le travail qualifié et les innovateurs à quitter la France pour trouver des cieux moins imposés ailleurs en Europe. Qu’importe ici encore l’effet délétère de telles mesures sur la croissance. Un autre marqueur traditionnel de la culture de gauche que le programme du NFP ne pouvait manquer est la hausse du Smic. La proposition est donc ici de l’augmenter de plus de 14%. Pourtant, la mise en œuvre de cette proposition augmenterait le nombre de pauvres, du fait des destructions d’emplois de personnes peu qualifiées et fragiles. Elle resserrerait encore les hiérarchies salariales, engendrant des frustrations parmi les salariés et des difficultés managériales. Et elle ignore le vrai problème : pire qu’être au Smic est le fait d’y rester, parfois longtemps, pour de nombreux salariés. Mais la question de la mobilité salariale et de l’accompagnement des travailleurs qui veulent se qualifier et progresser est ici ignorée. Cette préoccupation est apparue bien après les années 1970.
Au-delà du Smic, le NFP propose l’indexation des salaires sur les prix. Autrement dit, il propose d’enlever à la négociation collective, et donc aux syndicats, toute responsabilité dans ce qui au cœur de son rôle. C’est un affaiblissement syndical qui en serait la conséquence, outre des effets délétères sur la croissance et l’emploi en cas de choc inflationniste importé, comme celui que nous avons connu les années récentes. Il a fallu moins de deux ans au Gouvernement socialiste de Pierre Maurois, durant le premier mandat présidentiel de François Mitterrand, pour décider en mars 1983 d’interdire l’indexation des salaires sur les prix. Le NFP semble hermétique aux leçons de l’histoire…
Une dimension à souligner du programme du NFP est celle du rationnement. Concernant les biens de consommation, il s’agit par exemple du blocage des prix des biens de première nécessité (alimentation, énergie, carburants). Avec un tel blocage et en cas de hausse du coût des intrants, l’offre de ces biens se tarirait jusqu’à disparaitre. Quel progrès ! Concernant les logements, il s’agit par exemple de l’interdiction des expulsions de locataires en défaut de paiement sauf relogement, qui s’ajouterait à l’encadrement loyers et des prix foncier pour aboutir à un tarissement de l’offre locative. Comme tous les gouvernements, le NFP prévoit un vaste plan de construction de logement, ignorant les délais et difficultés de tels programmes. Les difficultés de logement seraient accrues par la mise en œuvre de telles propositions.
Comment réagiront les marchés?
Pour analyser ce que pourraient être la réaction des marchés financiers aux résultats des législatives, nous simplifions l’offre électorale à trois blocs, de gauche à droite : le NFP, le bloc centriste allant des socialistes réfractaires au NFP aux LR réfractaires au RN, et enfin le RN et ses affiliés. Quatre scénarios sont possibles.
1. Continuité : la coalition centriste l’emporte, parvient à former un gouvernement et à faire voter un budget.
2. Chaos : le scrutin ne départage pas suffisamment les trois blocs pour qu’il soit possible de former un gouvernement pérenne. Les groupes à l’Assemblée nationale se recomposent, plusieurs Premiers ministres se succèdent mais sont censurés. Un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes se met en place, mais risque à tout moment d’être censuré. Le budget 2025 n’est pas voté.
3. Majorité NFP suffisante pour former un gouvernement et passer un budget.
4. Majorité RN suffisante pour former un gouvernement et passer un budget.
Dans le scénario « continuité », les marchés se reprennent, mais avec une prime de risque résiduelle par rapport à avant le 9 juin.
Dans le scénario « chaos », les taux d’intérêt à long terme s’envolent, les marchés craignant que la crise politique française ne provoque une profonde fracture au sein de la zone euro. Les actions continuent à chuter, les marchés anticipant une récession et les valorisations étant laminées par la montée des taux d’intérêt. La crise française s’étend aux pays les plus faibles de la zone euro, à commencer par l’Italie. La BCE intervient pour stabiliser les marchés, tout en prévenant qu’une action pérenne sera conditionnelle à un programme de réformes. Le risque d’une crise financière mondiale agite les marchés boursiers.
Pour les deux scénarios suivants, majorité NFP ou RN, la réaction des marchés est très probablement négative (taux d’intérêt en hausse, actions en baisse), les deux coalitions ayant en commun de promettre de beaucoup dépenser (y compris les dépenses fiscales comme les baisses de TVA) sans financement crédible, et de ne pas se laisser impressionner par les règles européennes. Selon que le gouvernement maintient ses objectifs initiaux ou les repousse vers de meilleurs jours, la réaction des marchés sera plus négative, jusqu’à un éventuel scénario à la Liz Truss, ou tendra vers une certaine normalisation. Une sorte de boucle de rétroaction se mettra en place, entre les décisions politiques, la réaction des marchés, l’impact sur l’économie et, en retour, sur les décisions politiques. Examinons donc comment l’économie pourrait réagir à la baisse des marchés.
L’impact économique dépend de la dette, dont, à 320% du PIB, la France est devenue championne
La hausse des taux d’intérêt, la surtaxation du capital, la hausse du coût du travail auront un impact retardé et progressif sur l’économie, via le renchérissement de son coût de financement et sa perte de compétitivité. L’impact sur le coût de financement est d’autant plus préoccupant que notre économie est très endettée, à la fois selon des critères historiques, ou en comparaison avec nos principaux partenaires.
En 2005, l’endettement de l’économie française, administrations, ménages et entreprises confondues, s’élevait à 218% du PIB, un niveau très proche de celui de la moyenne de la zone euro (214%), des États-Unis (216%), et même de l’Allemagne (206%) et de l’Italie (208%), toutes ces données étant celles de la Banque des règlements internationaux, qui compile les statistiques fournies par les banques centrales de chaque pays.
Fin 2023, l’endettement français, à 320% du PIB, était sans conteste le plus élevé de la zone euro, dont la moyenne se situait à 236%, et bien au-dessus de celui des États-Unis (256%) ou du Royaume-Uni (236%). Comme dans tous les pays industrialisés, une généreuse politique de crédit destinée à protéger l’économie durant la pandémie avait fait exploser la dette française jusqu’à 373% fin 2020. Elle s’est contractée depuis, mais ce qui distingue notre pays est que nous sommes revenus au niveau prépandémique (321% début 2019), alors la plupart de nos partenaires européens sont parvenus à réduire leur endettement en dessous des niveaux de 2019 : pour la zone euro en moyenne, l’endettement tous secteurs confondus qui s’élevait à 257% du PIB début 2019, est retombé à 236% fin 2023.
À 150% du PIB, l’endettement des entreprises les rend vulnérables aux hausses de taux
Tous les secteurs ont contribué à la montée de l’endettement. L’attention des médias et du public se porte vers les administrations publiques, dont la dette fin 2023 (110% du PIB) a augmenté de 43 points de PIB depuis 2005. Mais on aurait tort d’ignorer la dette des entreprises, le terme étant pris au sens large (les sociétés dans la terminologie des comptes nationaux de l’Insee), qui a augmenté dans les mêmes proportions (44 points) pour atteindre 150% du PIB fin 2023. Celle des ménages reste contenue (63% du PIB), n’ayant augmenté « que » de 24 points depuis 2005.
Que le secteur privé soit bien plus endetté que le secteur public n’a rien d’anormal : ce n’est que l’image en miroir d’un patrimoine également plus élevé. Le rôle de l’acteur public domine, cependant, car les conditions de financement de l’immense majorité des entreprises dépendent étroitement de celles des administrations publiques. Pour les marchés financiers comme pour les banques, la qualité de crédit d’une entreprise est évaluée en écart à celle de l’État souverain dont elle dépend. Prêter à une entreprise (prêt bancaire ou emprunt sur le marché) est par définition plus risqué que de prêter à l’État, celui-ci ayant le pouvoir de taxer, d’imposer des contraintes allant jusqu’à la nationalisation, ou de voler au secours le cas échéant. Par conséquent, toute hausse du taux d’intérêt auquel l’État emprunte se répercute mécaniquement sur les taux auxquels empruntent les entreprises. Une forte dégradation des déficits publics faisant courir le risque d’impôts supplémentaires à l’avenir – décidés par une autre majorité éventuellement – la hausse des taux souverains est amplifiée au-delà de un pour un lorsqu’il s’agit des entreprises.
Or, aussi bien la plateforme de la NFP que le programme, encore bien flou il est vrai, du RN et de ses alliés, entraîneront inévitablement un déficit public plus élevé, dès cette année, puisque les deux coalitions prévoient un collectif budgétaire autorisant de nouvelles dépenses (y compris fiscales) dès l’été. Partant d’un déficit de 5,5% du PIB en 2023 et d’une projection à 5,1% pour 2024 par Bercy, nous risquerions fort de dépasser allègrement les 6% du PIB cette année, et de creuser encore l’impasse en 2025, en cas de victoire de l’une ou l’autre des coalitions.
Les marchés: baisse des actions et hausse du spread France-Allemagne
Dès le lendemain de l’annonce de la dissolution, les marchés financiers ont anticipé une période de troubles pour l’économie française. L’écart de taux d’intérêt à long terme (rendement des obligations d’État) entre la France et l’Allemagne est passé de 50 points de base (0,5 point de pourcentage) pour les taux à 10 ans à 82 points de base (pb) le 14 juin, tandis que les entreprises cotées au CAC40 perdaient 6,2% de leur valeur. Paradoxalement, les taux d’intérêt à long terme français n’ont pas significativement augmenté, car, dans le même temps, les taux américains, que suivent d’assez près les taux européens, avaient fortement baissé. Si les taux américains n’avaient pas opportunément baissé, les taux français auraient approché 4%.
Durant les jours précédant le 1er tour des élections législatives, il est probable que les marchés fluctueront au gré des annonces de politique économique des coalitions qui, même si elles font mine de l’ignorer, sont très attentives au jugement des marchés. Mais seuls les résultats du deuxième tour et ses conséquences politiques – formation ou non d’un nouveau gouvernement, lequel et avec quelles priorités – influenceront la direction que prendront les marchés.
Dans les divers scénarios que nous avons envisagés, l’écart de taux à 10 ans avec l’Allemagne pourrait, soit se réduire (scénario continuité), soit s’aggraver à nouveau et, dans le cas du scénario « chaos », dépasser 200 points de base, poussant les taux au-delà de 5%. Quel en serait alors le coût pour l’économie française et serait-il de nature à modifier la stratégie politique des nouvelles équipes au pouvoir ?
La facture d’une augmentation de 250pb du spread: 500 milliards sur la législature
Pour répondre à cette question, partons de l’endettement total de notre économie, soit environ 9230 milliards d’euros fin 2023. La maturité moyenne de cette dette est de l’ordre de 7 ans (4 ans pour les entreprises, 8,5 pour l’État, 10 pour les ménages). Supposons que le taux d’intérêt sur cette dette augmente d’un point de pourcentage (100pb). Chaque année, un septième de la dette tombe à échéance. La charge d’intérêt annuelle supplémentaire sur son renouvellement sera donc de 13,2 Mds€. Ces charges supplémentaires se cumulent d’année en année. Sur la durée de la législature (5 ans), le total s’élèvera à 200 Mds, soit 6,9% du PIB, ou 1,4% par an en moyenne. Remarquons que cette perte excèderait largement l’augmentation tendancielle du PIB par habitant de notre pays, tombée à 0,5% par an au cours des cinq dernières années.
Dans les scénarios « chaos » ou coalition NFP intransigeante sur son contrat de législature, le spread de crédit français pourrait s’élargir à 200, voire 300 points de base – souvenons-nous que le spread de l’Italie, avant qu’il ne devienne clair qu’elle serait admise dans l’Union économique et monétaire, oscillait entre 600 et 700 points de base. Dans le cas d’un choc de taux de 250 points de base, la facture brute pour l’économie française serait donc au moins de 500 milliards sur la durée de la législature.
On pourrait arguer du fait que les créanciers des agents français endettés sont en partie des investisseurs français et, donc, que l’effet net sur l’économie serait bien moindre. Si par exemple 70% de la dette française (tous secteurs confondus) était détenue par des investisseurs français (banques, assureurs, fonds de placement…), l’impact net ne serait « que » de 150 milliards. Mais ce serait ignorer que les débiteurs doivent honorer la charge de leur dette ou… faire défaut. Que le prêteur soit une entité française ou non n’y change rien. C’est donc bien la dette brute qu’il faut considérer si l’on s’intéresse au risque causé par la conjonction d’un endettement élevé et d’une hausse inattendue des taux due à des raisons politiques.
L’État a les moyens de gérer une crise de crédit – tant que l’Allemagne joue le jeu
L’État disposant de pouvoirs discrétionnaires considérables et ayant su gérer sa dette avec prudence, il devrait pouvoir encaisser un choc de taux, même considérable, sans dommages immédiats irréparables. La facture supplémentaire pour les administrations publiques en première année ne serait que de 3,6 milliards en cas de choc limité (100 points de base), ou de 9 milliards dans le cas d’un scénario de type chaos avec une hausse de 250 points de base. Un mélange d’augmentation d’impôts et de répression financière – par exemple le blocage temporaire des rachats de contrats euros dans l’épargne de type assurance-vie autorisé par la loi Sapin 2 – permettrait probablement de voir venir à condition que la crise ne s’aggrave pas, c’est-à-dire que le spread de crédit de la France ne s’envole pas vers les niveaux italiens d’avant l’Union économique et monétaire.
Intervient alors une dimension politique fondamentale dans l’équation budgétaire française : tant que l’Allemagne considère que la France restera au bout du compte un partenaire fiable dans la gestion collégiale de la zone euro, les marchés considèreront que son soutien implicite rend toute spéculation contreproductive. Car tant que l’Allemagne soutient l’union monétaire, la Banque centrale européenne est susceptible d’intervenir sur les marchés obligataires, faisant boire le bouillon à ceux qui spéculent sur une rupture. Mais l’Allemagne conserverait-elle cet attachement à l’Union économique et monétaire si son partenaire principal décidait de s’affranchir des codes de bonne conduite de l’union de façon systématique et massive ? Il y a probablement une limite au niveau de tolérance de l’Allemagne, même si nous ne la connaissons pas.
Les entreprises risquent d’être les premières victimes d’un coup de barre politique
La situation est bien différente pour les sociétés : elles n’ont par définition pas la possibilité de lever des impôts – un lointain équivalent serait de relever leurs prix unilatéralement, ce qui est impossible en situation de concurrence – et ne peuvent pas faire pression sur leurs créanciers comme l’État le peut avec la loi Sapin. De plus, en cas de choc de taux d’intérêt, elles subiraient une hausse plus importante que celle subie par l’État, comme on l’a vu plus haut. Par le biais de l’octroi de nouveaux crédits pour renouveler un quart de leur dette (sa maturité moyenne, rappelons-le, est de 4 ans), une hausse de 100 points de base augmenterait dès la première année leurs charges de 10,7 milliards, soit 1,1% de leur excédent brut d’exploitation (EBE). Une hausse causée par un scénario de type chaos porterait cette charge à 27 milliards, soit 2,7% de leur EBE. Si une telle situation devait perdurer, les charges s’accumuleraient et provoqueraient des faillites en chaîne, l’une des particularités de l’endettement des entreprises françaises étant l’importance du crédit inter-entreprises.
Plusieurs facteurs convergeraient alors pour pousser l’économie vers une grave récession. L’augmentation du Smic, 14% dans la plateforme du NFP, encouragé fiscalement à hauteur de 10% dans le programme 2022 du RN, aurait comme conséquence que des importations viendraient se substituer à des productions domestiques devenues trop chères, ce qui augmenterait à coup sur le chômage. Les pertes de compétitivité causées par les contraintes supplémentaires sur les entreprises – la plateforme de la NFP en foisonne mais les mesures protectionnistes prônées par le RN auraient un effet similaire en renchérissant le coût des intrants – aboutiraient aussi à une hausse du chômage en accélérant les faillites. Enfin, comme on vient de le voir, le durcissement des conditions de financement d’entreprises déjà excessivement endettées augmenterait le nombre de sociétés mises dans l’impossibilité d’honorer leur dette. Pourraient-elles compter sur la générosité de l’État pour essuyer la tempête, comme ce fut le cas lors de la pandémie ? Avec des déficits publics en forte hausse –aux dépenses nouvelles s’ajouteraient les pertes de recettes fiscales dues à la dégradation de la conjoncture – c’est fort peu probable.
La France pourrait-elle compter sur la BCE ? Oui, mais…
C’est au niveau des entreprises que les conséquences économiques des élections législatives seront les plus critiques, ce que les débats électoraux ignorent largement. À ce stade, la plateforme du NFP paraît particulièrement nocive. Le programme du RN tel qu’il était explicité il y a seulement deux ans, lors de la campagne présidentielle de 2022, est de la même eau.
Une grave crise financière, dont on vient esquisser l’ampleur potentielle, résulterait de la mise en œuvre de l’un ou l’autre programme. Face à de très sérieuses difficultés de financement – pas seulement de l’État – le gouvernement français pourrait-il compter sur le soutien de la BCE sous forme d’achat de titres souverains sur le marché secondaire, comme ce fut le cas lors de la crise de la zone euro ? Oui, surtout si cette crise risquait d’emporter avec elle l’Italie et d’autres économies de la zone euro, car elle compromettrait la transmission de la politique monétaire et menacerait l’intégrité de l’Union monétaire. Mais attention, l’intervention de la BCE serait conditionnée à un protocole d’accord entre la France et l’Union européenne sur les réformes nécessaires au retour de la stabilité financière. Quelle ironie ! Les partis les plus opposés aux règles de fonctionnement de l’Union forceraient la France à passer sous les fourches caudines de la conditionnalité et des institutions européennes, comme ce fut le cas de la Grèce en son temps.
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Les programmes économiques du RN et du NFP présentent de grands risques pour l’économie française. Il résulterait de leur mise en œuvre un appauvrissement et une perte de pouvoir d’achat, ainsi qu’une mise sous la tutelle d’institutions internationales comme la Commission européenne en contrepartie d’aides d’urgence pour éviter la foudre des marchés financiers. Pour chacun de ces deux camps, le choix alternatif sera de trouver des prétextes pour différer puis oublier ces engagements de compagnes.
Aux portes du pouvoir, le RN prépare déjà cette sortie, prétextant qu’il lui faudra un audit financier dès son arrivée aux commandes du pays. Un tel conditionnement est manipulatoire : les audits financiers, par exemple de la Cour des Comptes ou du Haut Conseil des Finances Publiques, sont nombreux et approfondis, sur la période récente. Même si on doit se féliciter de l’abandon probable de son programme par le RN en cas de son arrivée au pouvoir, cette stratégie manipulatoire participe de la décrédibilisation du discours politique.
Mais le discours du NPF consistant à dire que toute critique de son programme renforce le RN est tout aussi manipulatoire. Nous le disons clairement : la mise en œuvre de l’un ou l’autre de ces deux programmes serait une catastrophe pour l’économie française, et entrainerait pertes de pouvoir d’achat, appauvrissement du pays, augmentation de la pauvreté et… perte de souveraineté.
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